c'est à dire que le chauffeur est brun, la quarantaine, et qu'il a une moustache, c'est le syndrome de Tom Selleck que de rattacher tous les individus ayant la quarantaine, étant brun, et qui ont une moustache au nom de Tom Selleck
, NRJ à fond par dessus les écouteurs de mon MP3 qui m'explique que Cédric a été éliminé hier soir et que Montfils
« la gloire de Montfils titre l'équipe », explique le présentateur radio, avant de poursuivre : « probablement une référence au livre de Marcel Pagnol »
s'est qualifié pour la demi-finale de demain. C'est à ça que je pense et la campagne sarthoise me nargue à son tour. Dix mois que ce trajet je le fais relativement régulièrement. Dix mois à arpenter cette nationale qui nous raccorde au Mans, dix mois à reconnaître la même végétation, le même bestiaire. Et pourtant. Je reste étonné, exactement comme la première fois où on l'a traversée, comme je jour de notre arrivée ici, le jour du déménagement, comme le jour où j'ai dû expliquer à mes parents où tourner et quoi suivre, la fois où ils ont transités par chez nous. Parce que ce panorama devant moi me paraît toujours aussi absurde
et la curieuse impression de me sentir plus chez moi dans notre ancien appartement de Morlaix, dans lequel je ne suis resté que deux moi, qu'ici
et que je ne comprends toujours pas ce que je fais là. Moi qui suis pourtant (ai toujours été et serai toujours) un pur citadin, habitué à rejoindre le centre ville en moins d'un quart d'heure. Moi qui n'ai jamais habité à la campagne jusque-là. Et pourtant j'y suis. A transiter en direction du Mans. A traverser les champs, les arbres, les zones agricoles. A fuser le long de la nationale bordée d'ombres et de forêts comme dans un film de Guillaume Canet.
Entre le moment où je ferme la porte derrière moi en partant et celui où je dis mon premier bonjour grincé dans la salle des profs, c'est pratiquement une heure et demie qui s'écoule. Pourtant je ne m'en plains pas. Contrairement à mon précédent remplacement, la lourdeur des transports en commun ne m'affecte pas. Parce qu'en réalité j'aime les transports en commun. Tout comme le train d'ailleurs, j'aime m'enfoncer dans mon siège et regarder défiler le paysage, de la musique aléatoire qui me traverse les tempes. En bon soldat stéphanois j'apprécie beaucoup le tram, celui du Mans particulièrement parce qu'il est grand et neuf, mais le bus ne me dérange pas autant que ce que j'aurais pu croire (ou dire). Finalement, je l'aime bien le bus de Tom Selleck avec NRJ à fond dès sept heures et demi le matin.
Arrivé en salle des profs, je remarque deux nouvelles feuilles punaisées sur le tableau d'informations. La première concerne l'un de « mes » élèves, exclu
sur la feuille en question, qui est aussi la feuille « officielle » envoyée à la famille, je lis les chefs d'accusation listés par des tirets au centre de la page : coups envers un camarade sur la cour de récréation – refus d'obéir à l'Assistant d'Education – insultes envers l'assistant d'Education – violence physique envers l'Assistant d'Education – crachats envers l'Assistant d'Education – refus d'obéir aux ordres du Conseiller Principal d'Education – insultes et propos injurieux vis-à-vis du Conseiller Principal d'Education – tentative de dégradation du matériel du collège (porte en verre défoncée à coups de pied)
pour la semaine. La seconde est une lettre manuscrite en provenance de la prof que je remplace en ce moment même. Elle y explique qu'elle supporte la chimio et qu'elle ne peut rien faire d'autre que supporter la chimio et qu'au fond elle n'a pas trop le choix. Elle passe le bonjour à tout le monde. Je ne sais pas si je fais partie de ce tout le monde manuscrit, après tout je ne l'ai jamais rencontrée et nous ne nous sommes jamais parlé. L'un des professeurs (je n'ose pas dire « collègue ») me suggère de proposer à « mes » élèves de lui envoyer une petite carte de soutien. Je dis ouais ok ce serait sympa. Et puis je pense : à mes frais la carte ?