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Théodore Monod

Publié le 01 juillet 2008 par Menear
Cet endroit que je croise tous les matins depuis la vitre du tram et qui tous les matins me fait penser à Dachau. Je ne sais pas pourquoi. Je sais simplement que je n'y ai jamais mis les pieds, je me contente de l'apercevoir et de glisser autour, selon la courbe des rails au sol, je vois simplement ces haies taillées, ces arbres droits, la grande allée centrale. Il y fait toujours beau d'un soleil fixe et fort. C'est peut-être ça. Cette image de champ ouvert sur canicule dure me ramène huit ans plus tôt, à Dachau justement.
Il me reste peu de souvenirs, en réalité, de ce « voyage linguistique » de quatre ou cinq jours effectués en 2000 durant l'année de quatrième.
Je me souviens en revanche de toute la réticence agacée de mon prof d'allemand de l'époque, qui refusait pertinemment de se joindre au voyage, argumentant que ces séjours linguistiques n'avaient de linguistique que le nom, ce en quoi il n'avait pas tout à fait tort : nous sommes toujours restés entre nous, évidemment, nous n'avons pas parlé un seul mot d'allemand, et je me rappelle d'une des heures de cours qui avaient suivi notre retour et les moqueries du prof en question devant une élève qui disait ne pas connaître le mot Apotheke (pharmacie) alors que des pharmacies, si elle avait un peu levé le nez durant le voyage, elle en aurait croisées, cela aurait au moins pu servir à ça.
Il me semble que nous étions allé « visiter » Dachau sur la fin du séjour. Il faisait très chaud, le soleil était dur.
J'avais pris des coups de soleil les jours précédents, n'ayant bien évidemment pas pensé à prendre de la crème solaire (ou bien alors j'en avais et je n'avais pas pensé à m'en servir). On m'explique alors de ne pas mettre d'eau par dessus au risque de favoriser un effet loupe sur la peau mais je le fais quand même parce que ces brûlures me lancent.
Je revois l'immensité du champ principal. Des allées en gravier et les marques au sol de ce qui soutenait soixante ans plus tôt les baraquements des détenus. La pelouse est finement tondu, sur la gauche il y a un petit coin d'ombre, un chemin encadré de haies, un sentier agréable qui conduit aux fours crématoires qui ont été conservés en l'état. Je n'ai aucun souvenir du film documentaire que l'on nous passe le matin, dans l'une des salles de projections du bâtiment principal, mais je me souviens de l'intérieur des fours, des traces qui s'y sont creusées et qui dessinent vaguement l'ombre d'un squelette accroché aux parois. Les marques des poignets pèsent à l'intérieur. Je prends des photos inutilisables à cause du manque de luminosité.
A l'époque il s'agit encore d'appareil photo argentique. Impossible de voir l'aperçu du cliché s'afficher dans l'instant, comme maintenant. Je rate la moitié de ces photos sans le savoir.
Plus loin le chemin, qui devient peut-être sentier, s'enfonce et j'ignore où il mène.
Cet endroit je le croise aussi les après-midi sur les coups de seize ou dix-sept heures, en sens inverse. Ce qui veut dire que j'aperçois d'abord la grande allée principale encadrée d'arbres, eux-mêmes encadrés par des tuteurs massifs, disposés en croix autour des troncs. Je pense d'autant plus à Dachau que c'est bien cette allée massive saturée de lumière qui me renvoie au champ gigantesque amputé de ses baraquements
Ils n'en ont gardé qu'un ou deux en l'état, des volières étroites que nous visitons rapidement, les autres ont tous été rasés, démontés, découpés. Au sol se découvrent encore les traces des fondations sèches à présent.
, celui-là même où nous nous étions posé un moment, dix minutes ou bien une heure, sur cette photo irréelle qui s'altère quelque part dans un placard à St-Etienne.
Cette photo perce quelque chose que je n'identifie pas. C'est peut-être le temps. De mémoire, on nous y voit
nous, c'est à dire notre petit groupe d'une petite dizaine de personnes, parmi lesquels C., M., J., P., R. et moi-même. D'autres peut-être.
allongés au sol, à l'ombre d'un arbre hors champ, les mains sous la nuque, le ciel bleu-plastique. Derrière nous peut-être, je revois l'un de ces baraquements en friches dont la surface occupée alors est à présent aplanie par de gros graviers ternes. Je crois que nous avions quartier libre pour la visite du camp, je crois que nous sommes en avance par rapport à l'horaire fixé pour le retour. Alors on attend, on patiente, à l'ombre de cet arbre hors champ et de ce baraquement dont l'ombre n'éclaire plus qu'un passé trop abrupte pour nous. Je ne sais pas si nous prenons réellement conscience de l'énorme décalage qui existe entre le sol que l'on foule et l'attitude que l'on a. Nous sommes en vacances, allongés dans l'herbe. Je ne sais pas si je vois déjà ce décalage pendant que je le vis ou si ce sont mes propres regards successifs sur cette même photo qui, après coup, d'année en année, ont déteint sur mes souvenirs d'alors. De cet instant ne reste que cette photo, qui, peut-être, a duré des heures.
Il m'est arrivé parfois d'apercevoir dans les allées ou sur les pelouses du parc Théodore Monod des silhouettes pieds ou torse nus, allongées dans l'herbe à attendre que l'air chaud tout contre se dissipe lentement. Qu'on puisse s'y prélasser me paraît banal, quand bien même c'est Dachau à nos portes.

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