Hasard des calendriers de sortie, voilà un film qui colle parfaitement à l’actualité. Alors que la France s’est distinguée, cet été, par sa politique très controversée d’expulsion massive des Roms présents sur le territoire, et que les députés viennent d’adopter le projet de loi d’Eric Besson sur l’immigration, qui prévoit plusieurs dispositifs facilitant l’éloignement des étrangers, y compris européens, Illégal, deuxième long-métrage du cinéaste belge Olivier Masset-Depasse traite du sujet toujours sensible des sans-papiers et de la difficulté à se faire accepter dans une “terre d’asile”…
On y suit le parcours de Tania, une femme qui a quitté sa Russie natale pour s’installer en Belgique, mais qui a vu sa demande de permis de séjour rejetée par les autorités. Depuis, elle vit dans la clandestinité avec son fils Ivan, subsistant grâce à un petit boulot précaire et la protection d’un mafieux “bienveillant”.
Elle doit composer avec l’angoisse d’être arrêtée à tout moment, et s’impose, ainsi qu’à son fils, de parler exclusivement en français, afin de ne pas attirer l’attention sur eux.
Mais un jour, ils ont le malheur d’échanger deux mots en russe devant des policiers en civil. Tania s’oppose au contrôle d’identité pour laisser à son fils l’opportunité de se fuir et de se réfugier chez une amie. Elle est arrêtée et envoyée dans un centre de rétention administrative, en attendant que soient réglées les formalités juridiques de son expulsion. Il n’y a pas de miracle à espérer, les avocats commis d’office sachant pertinemment leur impuissance face à ce genre de dossier très “politique”.
Peu importe que Tania soit parfaitement intégrée, qu’elle parle parfaitement le français. Peu importe que son fils soit scolarisé là depuis huit ans et qu’elle occupe un emploi que peu de locaux feraient… Elle est en situation irrégulière. Point. Et selon la loi, elle doit rentrer “chez elle”.
Impossible de négocier, impossible de plaider sa cause… Les seules options possibles sont coopérer et accepter sans broncher d’être raccompagné à la frontière ou de braver l’autorité en refusant catégoriquement de donner sa véritable identité – comment vous expulser si on ne sait pas où vous expulser?
Tania choisit la seconde option. Elle veut rester là, pour pouvoir retrouver son fils et veiller sur lui…
Mais la police a plus d’une astuce pour faire craquer les récalcitrants : menaces, pressions, harcèlement…
La principale qualité du film d’Olivier Masset-Depasse – qui est peut-être aussi sa limite – est de rester centré tout du long sur ce personnage de femme courageuse, prise dans les mailles d’une justice aveugle et sourde aux protestations.
Le cinéaste a eu la bonne idée de confier le rôle à son actrice-fétiche, Anne Coesens. Déjà car il s’agit d’une excellente comédienne, capable de faire passer l’émotion sans jamais forcer le trait, malgré le côté scabreux du sujet. Ensuite car elle possède un physique “passe-partout”, qui renforce le caractère ordinaire du personnage. Tania est une femme comme les autres, une mère comme les autres, qui veille à la sécurité de son enfant. Rien ne la distingue d’une femme belge – ou française, ou allemande, ou venant de n’importe quel pays européen.
Elle n’a pas besoin de s’intégrer. Elle travaille en Belgique, elle maîtrise le français, a de bonnes relations avec le voisinage… En fait, à la voir, on conclut sans peine qu’il s’agit d’une citoyenne belge comme une autre…
Et pourtant, dès qu’elle est arrêtée, on la traite avec mépris, condescendance, voire avec violence, comme si elle était la dernière des femmes, la plus dangereuse des criminelles. Son seul tort ?: Avoir choisi l’endroit où elle voulait vivre et être restée dans une Belgique qui avait refusé de l’accueillir…
Le traitement qui lui est réservé – ainsi qu’à ses camarades d’infortune – est assez édifiant. Dès qu’elle est envoyée dans ce centre de rétention, elle cesse d’être un être humain aux yeux de ceux qui sont chargés de son dossier. Elle est une “Autre”, un corps étranger qui doit être évacué au plus vite.
La violence – psychologique puis physique – avec laquelle on tente d’expulser Tania et les autres est absolument édifiante.
On veut bien écouter les arguments de ceux qui pensent que les pays européens ont déjà atteint leur quota de réfugiés, qu’ils n’ont pas pour vocation de s’occuper de tous les miséreux venus frapper à leur porte, que la régularisation de tous les sans-papiers serait la porte ouverte à des flux migratoires problématiques…
Mais comment accepter, au XXIème siècle, dans des pays dits “civilisés”, que des êtres humains soient encore traités ainsi, brutalisées, malmenées, harcelées ?
Point culminant du film, la séquence où Tania est embarquée de force, menotté et malmenée, dans un avion en direction de la Pologne, est parfaitement révoltante, contraire à toute idée de droits de l’homme… Tout comme le tabassage “en règle” dont elle est victime dans le fourgon de police…
Certains vont dire qu’il s’agit d’un film, que ça ne correspond pas à la réalité.
Certes, il s’agit bien d’une fiction, mais celle-ci est tirée d’une étude approfondie sur les conditions de vie dans les Centres de Rétention Administrative – pas franchement des camps de vacances… - et est inspirée de plusieurs faits-divers réels (1),
De toute façon, il faut vraiment être naïf pour penser que les policiers, pas forcément réputés pour leur finesse, accordent un minimum d’égards à des personnes “hors la loi” (2)… Surtout quand des ministres fixent aux forces de l’ordre des objectifs à atteindre en terme de reconduction de clandestins à la frontière et que le climat est à la sévérité et la démonstration de force.
En fait, à force de verser dans la généralité, de traiter de la question de “l’Immigration”, de stigmatiser tel ou tel “groupe ethnique”, on finit par oublier que derrière ces termes , il y a des individus qui ont chacun leur propre histoire, leurs propres raisons de fuir leur pays d’origine.
La grande force du film d’Olivier Masset-Depasse est de se pencher sur un cas particulier pour donner un visage humain à cet “Autre”, ce “Clandestin” qui reste généralement à l’état de concept dans les débats sur le sujet.
L’histoire de Tania est à la fois unique et banale. Elle prouve la nécessité de remettre un peu de bon sens et d’humanité dans le traitement de chaque dossier.
Alors que le sujet est aujourd’hui plus sensible et brûlant que jamais, Illégal invite à la réflexion et réveille notre instinct de révolte face à des actes contraire à l’idée que l’on peut se faire des idéaux républicains. C’est une oeuvre forte, politique au sens noble du terme, engagée…
Son seul défaut est la propension qu’a parfois le cinéaste à appuyer ses effets mélodramatiques, par certains mouvements de caméra ou l’utilisation de musique un peu trop présente. Mais ces petites maladresses s’avèrent bien négligeables par rapport à l’intensité globale d’une oeuvre qui a été très applaudie lors du dernier Festival de Cannes, lors de sa présentation à la Quinzaine des Réalisateurs.
(1) : Le film s’inspire notamment de plusieurs cas où des pilotes d’avion et/ou des passagers se sont rebellés contre la présence à bord de policiers escortant des clandestins vers leur pays d’origine.
(2) : Il existerait même un manuel technique à l’usage des policiers, recensant des techniques d’étranglement d’un “reconduit” pour forcer sa docilité. Des pratiques dangereuses qui ont déjà occasionné quelques bavures fatales. Pour plus d’infos : Visions Cartographiques et Manuel de l’escorteur
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Illégal
Réalisateur : Olivier Masset-Depasse
Avec : Anne Coesens, Esse Lawson, Gabriela Perez, Olga Zhdanova, Christelle Cornil, Alexandre Gointscharov
Origine : Belgique
Genre : humaniste et révolté
Durée : 1h35
Date de sortie France : 13/10/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Nouvel Obs
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