Lorsqu'un luxueux catalogue en quadrichromie et couverture pelliculée brillante donne le détail d'une vente à l'hôtel Drouot, lundi 18 octobre, on prête une attention redoublée aux objets en vente et l'on s'attend à du sérieux. Surtout lorsqu'il présente trois cannes de compagnons. Mais on commence à déchanter lorsqu'on les découvre en rubrique "Campagnonage" (sic) provenant de la "Collection de Monsieur X." (re-sic).
Si le pommeau de la dernière (n° 50) semble authentique, les deux premiers (n° 48 et 49) semblent des plus douteux.
La première canne est décrite ainsi : "CANNE DE COMPAGNON. Le jonc en rotin, pommeau en corne brune à pastille d'ivoire, marquée "St Jean Vendéen La Confiance", datée 1864 et C.C.D.D.D.L. pour "Compagnon Charpentier Du Devoir De Liberté". 800 / 1000 €."
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Voilà qui est vraiment curieux… Une canne d'Indien dont le pommeau n'est pas torse ? Et puis surtout, voilà un compagnon charpentier du Devoir de Liberté qui a été reçu à la St Jean, comme les charrons, et pas à la Saint-Joseph. On en apprend tous les jours ! Il n'est pas besoin d'être expert pour se rendre compte que les lettres C.C.D.D.D.L. ne sont pas toutes de même taille et que la dernière lettre L du groupe R.A.L n'est pas suivie d'un point. Or la gravure des pastilles en ivoire (en fait, vraisemblablement en os) était plus soignée et effectuée par des fabricants de cannes professionnels qui reproduisaient soigneusement les modèles qu'on leur confiait. Bref, il s'agit d'une véritable canne mais avec une pastille ajoutée après coup, car elle devait avoir été perdue. Le problème, c'est qu'elle comporte des mentions erronées et constitue un élément faux.
La seconde canne (n° 49) semble aussi douteuse. Elle est ainsi décrite : "CANNE DE COMPAGNON A DOUBLE FERULE. Le jonc en rotin, pommeau en corne brune à pastille d'ivoire, marquée "Nantais au Coeur Fier", datée 1864 et C.D.B.D. pour "Compagnon Charpentier Bon Drille du Devoir". 800 / 1000 €"". Le mot "charpentier" a été biffé et remplacé par "bourrelier", ce qui est juste, mais il aurait fallu aussi rayer "Bon Drille"…
La gravure de cette pastille nous semble tout aussi fausse que la précédente. En effet, les deux rembourroirs placés derrière le couteau à pied sont figurés comme des outils à extrémité biseautée comme des ciseaux à bois, alors qu'il s'agissait de longues tiges de fer de plus en plus étroites. Le delta avec la lettre G ne figure pas dans le blason des bourreliers mais dans celui d'autres corps. Et puis, la technique de gravure et la date de 1864 sont identiques à celles du précédent pommeau, ce qui est vraiment troublant. Il s'agit là aussi d'une pastille gravée postérieurement et inspirée d'un authentique cachet de compagnon bourrelier du Devoir, mais maldroitement reproduit. Ajoutons que la "double férule" doit faire allusion au système de férule vissée dans un premier embout.
Il n'y a finalement que la dernière pastille de la canne n° 50, plus sobre, qui semble authentique. Toutefois, la description qui en est faite laisse songeur : "CANNE DE COMPAGNON. Le jonc en rotin, le pommeau en corne brune à pastille d'ivoire, marquée "A.B. SAINTONGE L'Ami du Trait" et U.V.G.T. pour "Union Vertue (sic) Grandeur (sic) Travail". 800 / 1000 €".
Enfin, ne nous faisons pas de souci pour le vendeur : ces trois cannes trouveront preneurs, même avec des pastilles fausses et à ce prix… Faisons-nous seulement du souci pour le ou les acheteurs…
L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)