On porte tous en nous des projets d’échappées ; qu’on irait traverser des paysages longuement et à chaque instant rencontrer le monde dans ses ondulations ordinaires, le sentir refléter en nous comme au passage d’un camion citerne poli comme un chrome. Du moins je veux croire que l’on est quelques uns avec cet élan au-dedans et des images de route. Et comme si on n’en trouvait pas le départ. On dit : un jour m’arracher à cette putain de vie. Et toujours dans la tête on prend le film par le milieu : le paysage s’efface à l’arrière continuellement, la bagnole file à travers une chanson de route. De profil, fenêtre ouverte. Peut-être le bras à la portière. Un truc qui balance au rétro. D’autres fois c’est phares grand ouverts et la silhouette d’un pont qu’on bascule la nuit. Les fenêtres éclairées d’un train qui glisse au loin, une complainte slave dont je ne comprends pas les paroles. Mais c’est la même histoire. C’est fou comme les films façonnent nos rêves. A croire que l’idée même d’échappée n’existe que dans et par ces récits et ces images. Dans nos rêves ce sont les films qui se rêvent. Moi je me voyais tracer la route, dormir dans des petits hôtels vieillots, m’arrêter manger seul dans un restaurant chinois de bord de route triste à pleurer. Je me voyais écrire le journal de cette dérive, la confondant au récit qui s’en ferait.