Beaucoup lu pour la Rentrée, donc, mais le meilleur livre que j’aie lu cet été est quand même sorti en 1978. Et c’est sans doute celui qui offre le plus de résonance avec l’actualité.
Fin 68, Robert Linhart se fait embaucher dans l’usine Citroën de la porte de Choisy. Plusieurs intellectuels ont fait ça, à l’époque – on appelait ça s’établir. Pour témoigner, bien sûr, mais aussi pour agir. Passer des grands discours à l’action syndicale.
Ha! C’est que ce n’est pas si facile, d’agir. Encore faut-il tenir le rythme. Le premier jour, Linhart teste deux postes – il est incapable de suivre la cadence de la chaîne. Et quand enfin il trouve un poste, il rentre chez lui trop fatigué pour tenter quoi que ce soit.
Alors il décrit. Les postes, la division du travail par nationalités, la grille de salaires racistes, la peur des chefs et de la police maison qui tient le tout.
Mais un événement survient, une injustice de plus, et Linhart et quelques camarades montent une grève. Il en faut, de l’énergie, pour faire bouger les gars – ils en ont. Le grand soir aura lieu le 17 février.
Les occupations ordinaires de la lutte nous délivraient en partie de l’angoisse et de l’amertume. Tout prenait un sens. Pour une fois, les blessures et les humiliations de la vie quotidienne ne se perdaient plus dans le puits sans fond de notre rage impuissante. Les chefs pouvaient insulter, voler, mentir. Nous leur avions ouvert un compte secret, et chaque fois qu’ils l’alourdissaient d’une nouvelle injustice, nous pensions : rendez-vous le 17 février.
Le 17, à 17 heures, les grévistes parviennent à stopper la chaîne.
Alors c’est tout l’appareil Citroen qui se déchaîne. Pression des chefs, mutations, licenciements, puis les gros bras qui s’en mêlent, la chasse aux sorcières dans les foyers de travailleurs immigrés… Bref, grévistes contre direction, le combat est décrit de façon brute, factuelle, fascinante.
Et c’était avant le chômage et le chantage de l’armée de réserve…
La dernière partie du livre revient sur le parcours en quelques synthèses limpides et laconiques, d’autant plus frappantes que Linhart trempe rarement sa plume dans l’encre rouge du militantisme pur et dur.
Linhart n’écrit pas un tract, il raconte. Et certaines de ces histoires font bizarrement écho en ce mois de réforme des retraites. La crise cardiaque du vieil Albert, par exemple, un mois après sa retraite.
Le corps d’Albert avait été programmé pour 65 ans de vie par ceux qui l’avaient utilisé. Trente-trois ans dans la machine Citroën (...) mais un peu plus usé chaque jour. Et la stupeur d'arriver en bout de course.
Clac.
Claque.
Merci à Cécile de m’avoir parlé de ce livre, merci au Castor de me l’avoir prêté. Merci à toi de le lire bientôt.