Cliché I. Rambaud
A Dublin, sur Earl Street North, non loin de la jonction avec O'Connell Street, se trouve la fameuse statue en bronze de James Joyce (1882-1941), s'appuyant sur sa canne. Cette posture qui n'est justement pas celle de l'écrivain mais du promeneur invite à regarder ce qu'il regarde aujourd'hui, à entendre ce qu'il entend aujourd'hui.Et que voit-il donc ? Un immeuble cossu dont le magasin, sur deux niveaux, "baisse le rideau". Fermeture annoncée. La crise est bien là. Et pas seulement dans les journaux.Et qu'entend-t-il ? La foule bruissante qui s'écoule autour de lui et un peu plus loin deux figures populaires qui attirent le regard et quelques badauds désoeuvrés.
La première figure est celle d'un homme âgé, mal habillé et qui, appuyé sur un escabeau surélevé, semble porter sur lui toute la misère du monde. Il tient à la main une grande pancarte où est écrit "Fortune teller" (diseur de bonne aventure) et regarde droit devant lui. Personne ne s'arrête, personne ne le regarde, seulement James Joyce en bronze.La seconde figure est celle d'un homme un peu exalté qui parle avec force devant une pancarte où il a décrit par un schéma sommaire la relation de l'homme à Dieu.Une petite troupe s'est formée et l'écoute dire avec conviction que l'homme n'est pas heureux, que la source de ses malheurs est le péché et que la source de son bonheur futur est en Jésus sauveur.Les Dublinois d'aujourd'hui ont ainsi sur quelques mètres carrés de quoi méditer sur leur avenir et les choix à faire ou ne pas faire, économiques, religieux, littéraires..., avec dans leur dos James Joyce qui leur dit avec dureté et une certaine emphase : "Il sera bientôt temps pour l'Irlande d'en finir une fois pour toute avec les échecs. Si vraiment elle est capable de renaître, qu'elle se dresse, ou bien qu'elle se voile la tête et descende pour toujours dans la tombe avec décence !" (L'Irlande, l'île des saints et des sages, 1907).Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !