TF1 est-elle une chaîne « à tradition délinquante » ?
Entretien
François Jost « Il serait plus constructif de dire qu’il faut une éducation des jeunes à la télévision »
Article paru dans l’édition du 12.10.10 du Monde
François Jost, sémiologue, directeur du Centre d’études sur l’image et le son médiatiques à Paris-III-Sorbonne-Nouvelle
Par ailleurs, dans sa lettre ouverte à Nonce Paolini, rendue publique le 30 septembre, Arnaud Montebourg accuse in fine le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de ne pas faire son travail, en laissant croire qu’il n’intervient pas quand TF1 ne respecte pas son cahier des charges, ce qui est faux. Récemment, la chaîne a été rappelée à l’ordre.
Et quand il accuse la chaîne de contribuer à décérébrer le télé-spectateur, vous jugez qu’il va trop loin ?
Je trouve que, dans ses reproches, il est très en retard sur ce qu’est réellement la télévision aujourd’hui. Reprocher à TF1 de diffuser des images violentes est idiot. Peut-il prouver qu’il y a plus de crimes ou de meurtres que sur une autre chaîne ? Depuis Aristote, on n’a pas trouvé mieux pour captiver le public.
Et en quoi ces actes de violence seraient-ils opposés à la culture ? Leur présence est-elle suffisante pour condamner les films de Hawks, Polanski, Tarentino ou même Chabrol ? Aucune étude sérieuse n’appuie son discours.
Cela dit, je ne regarde TF1 que pour mon métier de sociologue des médias, par obligation, et je ne suis pas d’accord avec son idéologie. Sur le thème de la culture télévisuelle, on a raison d’attaquer TF1, mais il faut être précis dans ses attaques, ce qui n’est pas le cas avec Arnaud Montebourg, qui mélange tout.
Il a raison de dire que Jean-Pierre Pernaut fait à 13 heures un journal populiste, idéologiquement marqué à droite. En revanche, ce n’est pas le cas du JT présenté à 20 heures par Laurence Ferrari, qui vise un public plus large. TF1 a des priorités qui relèvent du marketing.
Néanmoins, le point de vue d’Arnaud Montebourg a reçu un accueil très favorable sur Internet.
C’est l’effet Godwin, du nom de ce chercheur américain qui avait remarqué qu’une discussion qui dure sur le Web peut amener à remplacer des arguments par des analogies extrêmes. Quand une discussion commence et qu’on est à cours d’arguments, on finit par dire que l’autre est un nazi.
Montebourg fait des amalgames et que cela suscite autant d’adhésion est mauvais signe. Cela relève du lynchage. Il serait plus constructif de dire qu’il faut une éducation des jeunes à la télévision, leur apprendre à voir l’idéologie derrière les images.
Propos recueillis par Sylvie Kerviel
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