Les couleurs de la poésie
Le Musée Frieder Burda à Baden Baden présente, et ce jusqu’à la mi-novembre encore, une splendide rétrospective sur le travail du peintre espagnol Joan Miró. Une centaine d’œuvres, peintures, sculptures et céramiques, provenant de collections publiques et privées ont été ici réunies, permettant au spectateur d’appréhender la production d’un artiste culte du vingtième siècle, reconnaissable au premier coup d’œil, mais souvent mal connu cependant. Une occasion remarquable d’embrasser du regard et en une visite quelques six décennies de création.
La première grande rétrospective consacrée à Miró est organisée à New York au Museum of Modern Art fin 1941. Elle obtient un très vif succès et aura une influence marquée sur les peintres américains. Cette rétrospective lui apportera le rayonnement qu’il méritait et le propulse sur la scène artistique internationale. Miró commence ses premières sculptures en 1944 avec le céramiste Josep Llorens Artigas. Il expose à la galerie Maeght en 1948, année qui marquera son retour et sa reconnaissance par les milieux parisiens.
L’exposition est le fruit d’une formidable réunion de tableaux, sculptures et céramiques, issus de grandes collections publiques mais aussi du fonds privé de la famille de Miró. Le parcours est clair, bien structuré, et le bâtiment conçu par l’architecte Richard Meier se prête merveilleusement à cette peinture du soleil, à travers l’importance des surfaces vitrées orientées au sud. La force et la vibration de la couleur s’en trouvent renforcées, soulignant à l’envie la dimension poétique du travail de l’artiste catalan. Des premières toiles datant d’avant 1920 aux dernières sculptures de 1982, l’exposition suit une organisation chronologique. Le cheminement est naturel et la visite se déroule comme une promenade dans l’univers coloré du peintre. Dans ses toiles réalisées de 1924 à 1927, on est frappé par l’importance des champs de couleur, sur lesquels sont parsemés des signes intrigants, à la manière d’une partition sans portée. Correspondant à la période surréaliste, tant dans l’approche esthétique que dans les techniques utilisées pour les réaliser (automatismes, exploitation des rêves) elles annoncent déjà la suite de l’œuvre. L’artiste n’aura de cesse d’organiser ces éléments primordiaux dans un univers en construction permanente, confrontant sans relâche la réalité à sa sensibilité et son imagination
Miró aimait à observer les choses simples, les éléments de la nature mais aussi les objets du quotidien. Leur observation s’apparente chez lui quasiment à une méditation de travail. L’artiste cherchait la vie dans toute chose et l’immobilité déclenchait chez lui une formidable mise en mouvement, un élan créateur d’une rare densité. La photographie le montrant assis dans le jardin zen du temple Ryoan-ji de Kyoto, en 1966, est à cet effet assez significative. Laisser tomber le superflu, se dépouiller de l’inutile pour ne garder que l’essentiel.
La céramique et la sculpture sont bien représentées dans l’exposition. C’est principalement avec le céramiste Josep Llorens Artigas que le Miró travailla. La production de vases et terres cuites est évoquée dans une salle du premier étage. Les sculptures sont réparties au gré des salles, la plus remarquable étant à notre sens « La déesse de la mer » (1968) qui fut immergée au large de Juan-les-Pins en 1972.
L’exposition présentée au musée Burda permet de découvrir et d’approfondir l’œuvre d’un artiste singulier, qui n’eut de cesse de développer son langage propre, transcrivant sous différentes formes son expression poétique. A la croisée des grands courants artistiques, il reste aujourd’hui l’un des maîtres incontestés de l’art du vingtième siècle.