Le week-end dernier, la Ligue Savoisienne ici, fondée en 1995, tenait son 15ème congrès. Le samedi 9 octobre la Ligue organisait un Forum avec la presse et les parlementaires de Savoie à l'Impérial Palace d'Annecy et, le dimanche 10 octobre, à Sillingy, elle faisait le point sur le Forum de la veille avant de tenir son Assemblée statutaire.
Sur l'invitation qui m'a été adressée par le MFC ici [le tract ci-contre émane de ce mouvement], à laquelle je n'ai pu me rendre, ayant d'autres obligations à plusieurs centaines de kilomètres de là, on pouvait découvrir dans quel esprit et sur quel thème ce Congrès avait lieu :
"Ce Congrès sera inspiré par le thème de l’option suisse. En effet les sondages, consultations et conversations de terrain révèlent la force d’attraction du modèle helvétique sur la population de la Savoie : démocratie directe, réussite économique, finances saines, paix sociale et civile, fédéralisme.
Voici 150 ans, la Savoie était annexée par Napoléon III et perdait son autonomie. Gênées
par les vérités historiques désormais bien connues, les autorités locales inféodées à Paris
ont quand même voulu marquer cet anniversaire par des festivités dont la signification
était pour le moins ambiguë.
Les femmes et les hommes de Savoie se déclarent pourtant disponibles au changement et
peu attachés à un modèle français dont la crise s’approfondit."
En effet la Savoie et Nice ont été annexés par la France de Napoléon III en 1860 à la suite du Traité de Turin du 24 mars 1860 entre la Sardaigne et la France, en remerciement de la première à la seconde pour son aide contre l'empire austro-hongrois.
L'article 1 de ce traité est libellé comme suit :
"Sa Majesté le Roi de Sardaigne consent à la réunion de la Savoie et de l'arrondissement de Nice (circondario di Nizza) à la France et renonce pour lui et tous ses descendants et successeurs en faveur de S. M. l'Empereur de Français, à ses droits et titres sur lesdits territoires. Il est entendu entre Leurs Majestés que cette réunion sera effectuée sans nulle contrainte de la volonté des populations et que les gouvernements de l'Empereur des Français et du Roi de Sardaigne se concerteront le plus tôt possible sur les meilleurs moyens d'apprécier et de constater la manifestation de ces volontés."
On remarquera qu'il est question de réunion et non pas d'annexion, sans doute pour ménager les susceptibilités, le mot cependant ne changeant en fait rien à la chose.
Comment va-t-on se donner les "moyens d'apprécier et de constater la manifestation de ces volontés" [des populations] ? En organisant un plébiscite les 21 et 22 avril 1860, où curieusement deux sortes de bulletins d'approbation seront mis à disposition des dites populations :
- dans le nord de la Savoie un bulletin "oui et zone [franche]"
- un bulletin "oui" dans les autres parties annexées
(il n'y avait pas de bulletins "non"...)
Les bulletins "oui et zone" seront utilisés à la quasi unanimité par la population du nord de la Savoie. Cette partie de la Savoie bénéficiera effectivement du statut de zone franche par décret impérial du 12 juin 1860 jusqu'à la loi du 16 février 1963, qui la supprimera, sans consultation cette fois de la population intéressée.
Les résultats de ce plébiscite de 1860 furent trop beaux pour être vrais. Ils rappellent furieusement les résultats truqués de feues les démocraties populaires. Le Traité de Turin a en effet été approuvé par 99,8% des voix dans des conditions que la morale ne peut que réprouver : destitution des syndicy (maires) hostiles, listes électorales établies par les seuls partisans de la "réunion", absence d'isoloirs, intimidations, menaces, fraude massive...
De plus l'article 7 du Traité prévoyait qu'il devait être ratifié par le Parlement de Turin, ce qui ne s'est jamais produit...
Dans ces conditions la célébration commémorative des 150 ans du plébiscite de 1860 par Nicolas Sarkozy le 22 avril 2010 ici prend un relief tout particulier...
Le terme de "savoisien" est préféré à "savoyard" par les partisans d'une Savoie libre et indépendante. Historiquement le premier est plus ancien, sémantiquement il n'a pas la connotation péjorative que le second peut avoir parfois. "Savoisien" a l'avantage de désigner aujourd'hui à la fois l'habitant et le partisan...
Dans 20 Minutes du 11 octobre 2010 ici, les objectifs du Secrétaire général de la Ligue savoisienne, Patrice Abeille, sont résumés ainsi :
"Plutôt que de voir la Savoie et la Haute-Savoie englobées dans la Confédération, Patrice Abeille milite pour une solution intermédiaire, à savoir une helvétisation de sa région dans la forme, mais pas au niveau administratif. S'inspirer du modèle suisse sans dépendre de Berne [c'est moi qui souligne]."
L'option suisse est-elle jetée aux oubliettes ? Non pas, au contraire, si l'on en croit Le Temps du 11 octobre 2010 ici, qui rapporte ces propos de Patrice Abeille :
"Notre aspiration pour une Savoie indépendante et européenne dans le sillage de petits Etats comme la Slovénie, Malte ou l'Estonie a été mise en échec. Le salut passe donc par un rapprochement avec la Suisse, dont nous louons la réussite économique et la démocratie directe."
Certes la Ligue Savoisienne, tout comme le Mouvement Franc-Comtois, dont le fondateur, Jean-Philippe Allenbach, a pris la parole lors du Congrès de la Ligue, ont pour l'heure une audience limitée, mais, correspondant toujours davantage au pays réel, ils pourraient bien devenir un jour le pays légal. Avis à la France jacobine et à l'Eurocratie !
Francis Richard
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