La grève que nous connaissons actuellement me paraît bizarre. Les sondages se croisent et se contredisent. Personne ne sait réellement ce que signifie la réforme au cœur du conflit, sinon qu’elle a été menée n’importe comment. Je sens un mouvement d’indignation bien plus faible que contre d’autres réformes. À l’image des lycéens qui se retrouvent dans la rue en vertu de raisons vagues et indéfinissables. D'ordinaire les métros autour de chez moi sont à l'arrêt total lors des grèves, or je n'ai quasiment rien ressenti ces derniers temps...
J'ai curieusement l'impression d'une guérilla isolée qui a peu de moyens, mais qui fait preuve d'une imagination qui confine au génie. Des actions décousues, le fait de groupes isolés mais qui tiennent des noeuds vitaux pour la société : Mediapart déclenche l'affaire Woerth, leurs propres minorités agitent les syndicats, le petit nombre de personnes qui approvisionne les raffineries cherchent à couper l'approvisionnement en énergie de la France... Quant aux lycéens, qui me font plus penser au Bartleby de Melville qu'au révolutionnaire de 48, j'en viens à m'émerveiller du talent qu'il a fallu pour mettre en marche ces zombies.
Au fond, le plus étrange n'est peut être pas là. Il est dans la formulation de la réforme. Autrement menée, même dans un format plus radical, elle aurait probablement été acceptée sans encombre. Or, elle est parvenue à mettre en mouvement l'inertie. Forme de provocation ?
Et si quelque chose d'autre que les retraites était en jeu ? Une revanche de 68, qui se jouerait entre titans vieillissants ? Des titans peu nombreux et titubants mais qui ont rassemblé toutes leurs forces pour un dernier combat ?