Lorsqu'Armistead Maupin s'installa à San Francisco en 1971, il ne se doutait probablement pas que LA ville l'inspirerait autant : pourtant, assez rapidement, il entame la rédaction de ses chroniques, dans un journal, avant d'en faire une série de livres. Et tout l'intérêt de ces fameuses chroniques, c'est qu'elles font revivre San Francisco, personnage à part entière, à l'époque des seventies.
Car San Francisco, dans les années 70, était déjà cette ville fantasque, aux habitants aimant sans vergogne la drogue et le sexe, paradis des minorités et des excentriques. C'est dans cette ville peu commune que Mary Ann Singleton décide de devenir adulte, en quittant Cleveland et le monde étriqué et conventionnel de ses parents. Le hasard l'amène au 28, Barbary Lane, où sous l'égide d'une logueuse déjantée qui donne des noms à ses plants de marijuana, vivent Mona la rédactrice publicitaire, Michael dit "Mouse" son meilleur ami gay et Brian le chaud lapin...Le ton est vite donné !
Véritable roman d'apprentissage, "Chroniques de San Francisco" nous présente donc le personnage tendre, naïf et "légèrement en dehors du coup" de Mary Ann, l'américaine moyenne à l'éducation très "Côte est" qui découvre une ville hétéroclite et très ouverte. Au fil des pages, Mary Ann trouve peu à peu sa place et son équilibre au sein de la tribu du 28, Barbary Lane et découvre la vie adulte, en apprenant à s'opposer à ses parents, et à vivre seule. Et effectivement, quelle autre ville aurait pu faire l'affaire? Armistead Maupin nous présente un endroit unique, à une période charnière, post-Woodstock, mais avant les années 80 et le sida, où l'amour libre règne en maître. Au fur et à mesure que les pages se tournent, l'on voit San Francisco se dessiner, à tel point qu'en refermant le livre, on a l'impression de revenir de vacances.
Armistead Maupin met en scène des personnages assez différents les uns des autres, à la fois par leur statut social, leurs aspirations et leur personnalité, mais parvient à les faire se croiser les uns les autres d'une manière assez ingénieuse : l'on a l'impression qu'à San Francisco, tout le monde se connait. It's a small world ! San Francisco a assurément tout du microcosme : monde à part, résolument moderne, la ville apparait déjà comme une ville "gay". Les aventures de Michael, notamment, sont hilarantes à suivre en surface : que ce soit sa quête d'amour et de plaisir charnel, que ses lubies. Mais Armistead Maupin est parvenu à en faire un personnage plus profond en soulevant la question délicate du "coming out". Michael et Mary Ann sont probablement les personnages les plus intéressants du roman, par ailleurs, l'un pour son désir de s'affirmer, l'autre pour son rêve d'indépendance familiale. Ces "adulescents", que ce soit Michael, Mary Ann, Mona ou D'orothea, semblent tous cependant, avoir du mal avec leurs parents, l'ordre établi, le passé et avoir trouvé en San Francisco un refuge de modernité.
Les histoires d'amour se nouent et se dénouent sur un fond d'adultère, d'histoires d'un soir, et d'expérimentations. La drogue et la drague semblent être pour nos héros des passe-temps avouables sans complexe. L'on rit des histoires ratées de Brian, qui, maladroit, drague une quadragénaire, pour réaliser en la suivant chez elle, qu'il a déjà serré de près sa fille, ou qui va prend le prétexte de faire sa lessive pour aller draguer ! L'ambiance de ce roman rappelle d'ailleurs beaucoup la série Friends, qui fait cependant évoluer ses personnages vingt plus tard, et quatre mille kilomètres plus loin.C'est en somme un roman très sympathique, qui donne envie de découvrir la suite.