L'ÉGYPTOLOGIE TCHÈQUE : III. LES FOUILLES D' ABOUSIR DURANT LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU XXème SIÈCLE - 14. LE TROISIÈME CERCUEIL GIGOGNE D'IUFAA

Publié le 16 octobre 2010 par Rl1948

     A nouveau, le moment nous sembla particulier, lourd, pesant, sombre même ; à nouveau, accord tacite, nous retenions tous notre souffle ; à nouveau, à 22 mètres de profondeur sous les sables du désert, dans le cimetière saïto-perse situé aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir que, depuis bien des années maintenant, fouillaient inlassablement les membres de l'Institut tchèque d'égyptologie que dirigeait Miroslav Verner, nous étions, vous et moi, les hôtes plus que privilégiés de Ladislav Barès et de son équipe.

     Samedi dernier, souvenez-vous, dans un vacarme que l'exiguïté des lieux avait rendu plus retentissant encore, chaînes et poulies avaient soulevé le lourd couvercle de basalte sombre qui chapeautait le deuxième sarcophage que contenait l'immense bière de calcaire blanc de la chambre sépulcrale d'Iufaa.

     Et, tout de suite, dans les yeux de l'égyptologue maître des travaux, se lut, si pas l'abattement, à tout le moins une perceptible déconvenue ... Aucun d'entre nous n'osa se faufiler pour s'approcher de la cuve, aucun n'osa poser de question, sauf d'un oeil scrutateur, respectant ainsi le silence qui avait suivi l'ahan général motivé par l'effort de permettre au couvercle de lentement glisser sur les poutres transversales.

     Et pourtant ...

   Une nouvelle surprise était bien au rendez-vous. Dans la cavité de pierre reposait, non pas immédiatement le corps du défunt comme tous  nous l'attendions, mais ce qui avait dû être une troisième enveloppe protectrice : un cercueil anthropoïde, le second, en bois de sycomore cette fois, de 1, 84 mètre de long et 48 centimètres de large, recouvert de motifs de stuc peint en ocre jaune.

     Ou plutôt, pour être plus précis encore, ce que l'humidité ambiante qui s'était malicieusement infiltrée jusque là depuis deux mille cinq cents ans avait permis d'en conserver : avec la précaution dont ils étaient pourtant coutumiers, les hommes de Ladislav Bares tentèrent de soulever quelque peu le couvercle manifestement fendu sur toute sa longueur. Il ne lui fallut que quelques menues secondes pour qu'il se démantèle quasi complètement, s'effritant et ne laissant que des morceaux épars entre les doigts des ouvriers, décontenancés, dépités.

   Fort heureusement avait été prise la sage précaution de préalablement retranscrire, puis de photographier les trois colonnes de hiéroglyphes peints en noir au centre de la longue et fragile planche en bois : là, en effet, se lisaient notamment le nom d'Iufaa et son titre d'Administrateur du Palais, ainsi que la mention d'Ankhtisi (ou Ankhtes), sa mère.

     Les fragments pourris dégagés, quelle ne fut pas la surprise de constater que ce troisième - et je peux maintenant ajouter : ultime écrin -,  à l'instar de ceux du même nombre mis au jour jadis dans l'hypogée de Toutankhamon, contenait enfin la momie tant espérée, d'apparence assez hiératique à cause du natron dans lequel l'ensemble avait été plongé originellement en vue d'une dessiccation optimale.

   Le visage mis à part, dissimulé sous un masque mortuaire en stuc doré, le corps était entièrement recouvert d'un linceul.

       Oh, évidemment, par n'importe quel linceul !

   Sur les bandelettes qui emmaillotaient Iuffa avait été déposée une superbe résille d'innombrables perles tubulaires de faïence bleue disposées en losanges  ; résille en bien piteux état aussi, je vous l'accorde, mais néanmoins encore suffisamment éloquente quant à la magnificence avec laquelle ce haut fonctionnaire palatial et prêtre lecteur, avait tenu à se faire inhumer. Certes, la splendeur n'atteignait en rien celle des trois sarcophages gigognes recouverts d'or du jeune fils d'Akhenaton : d'or, ici, il n'y avait point ! Point encore, à tout le moins ...

   Mais il demeure que l'ensemble de ces enveloppes funéraires successives, qu'elles soient de pierre ou de bois, constituait, pour un fonctionnaire royal, une bien belle preuve de statut social privilégié.

 

     De l'entrelacs des perles bleues allongées se détachèrent ça et là quelques figurations : les quatre fils d'Horus que, traditionnellement, l'on rencontre en guise de bouchon sur les vases canopes destinés à conserver les viscères d'un défunt et, au-dessus, sur la poitrine, Nout, la déesse du Ciel, ailes éployées.  

  

  

   Mais ce qui retint une nouvelle fois l'attention émerveillée de tous, ce fut un imposant collier Ousekh, - que j'ai pris la liberté de reproduire ci-dessus au départ d'un cliché de Miroslav Barta que publie M. Verner dans son remarquable ouvrage consacré à Abousir (voir référence infra-paginale) -, pectoral  de toute beauté, constitué de plusieurs rangs de fines perles de faïence multicolores et, lui aussi, malheureusement détérioré par le temps. 

   Ce sera après notre départ souhaité du caveau, dans quelques instants, qu'interviendra la délicate opération consistant à retirer du dessus de la momie d'Iufaa résille et collier qui la recouvrent encore ; les membres de l'équipe de l'Institut tchèque d'égyptologie désirant, mus par un ultime respect du défunt dans la plus pure conception antique, rester seuls en présence de la momie.

     Alors, et alors seulement, pourrons-nous contempler l'intérieur - vide - de l'imposant sarcophage de calcaire blanc qui avait pendant plus de deux millénaires et demi réussi à abriter les cercueils gigognes d'Iufaa.

   Il nous est proposé de nous retrouver ici même, samedi prochain  23 octobre, pour une dernière visite privée de la sépulture ...

     Qu'en pensez-vous ? Personnellement, je me suis empressé de déjà notifier mon accord, partant, ma présence.

     Et vous ?     

(Bares : 2005 ; Verner : 2002, 192-205)