Le gourmet solitaire
de Jirô Taniguchi et Masayuki Kusumi
(1997 - 2005, Casterman)
Mon titre d'article le plus long (désolé).
Depuis la parution en France de Quartier Lointain, et du Journal de mon père, Jirô Taniguchi jouit en France d'un statut de valeur sûre, ses histoires au style caractéristique (trait hyperréaliste, décors fouillés, genre introspectif) plaisant au public peu acclimaté au manga. Il est vrai que lui-même se considère influencé par des artistes occidentaux, d'Edward Hopper à Moebius, autant que par le cinéaste Yasujirō Ozu, ou encore par le mangaka Osamu Tezuka.
Le gourmet solitaire appartient à sa veine intimiste, constituée de scènes de la vie quotidienne. En l'occurrence, c'est une suite de scènes courtes, ayant pour fil conducteur le personnage central, dont on sait très peu de choses (un commercial, probablement célibataire, qui voyage à travers la région de Tokyo pour des besoins professionnels, voilà tout). Cet homme, dont on ignore jusqu'au nom, nous est présenté au moment où sa journée de travail s'interrompt pour une raison bien précise : il a faim. Chaque chapitre est une quête de repas, à prendre où il se trouve, et on visite avec lui, selon les situations, les gargotes les plus modestes, les restaurants gastronomiques ou bien les grills et autres restaurants populaires. Chaque fois, c'est le menu qui est le thème unique. Nous sont ainsi détaillés les plats qu'il choisit, l'atmosphère du lieu, et les impressions du gourmet solitaire.
C'est ainsi une plongée dans la vie quotidienne japonaise, autant qu'une incitation à la gourmandise. Les chapitres sont intitulés d'après les plats qu'il commande. Étant moi-même très gourmand, et féru de cuisine, je ne pouvais rester insensible à un tel livre.
Un tel sujet - j'allais dire menu - pourrait être vite fastidieux et répétitif à lire. Mais chaque scène s'accompagne d'une fine observation des japonais contemporains, leurs qualités, leurs défauts, voire leurs travers - cf. notamment la scène où le gourmet solitaire s'élève contre le comportement ouvertement xénophobe d'un patron de grill, qui frappe son employé chinois. Et on en apprend bien plus sur le protagoniste, auquel il est si facile de s'identifier, que si sa vie et son passé nous étaient longuement décrits.
Il y a bien sûr l'aspect strictement culinaire, donc profondément culturel, qui occupe la quasi-totalité des pages. Chaque plat est décrit dans le détail, par le dessin et par les impressions gustatives du gourmet solitaire. Je vous jure qu'en le lisant, j'avais réellement l'eau à la bouche. Sushis, raviolis, fruits de mer, grillades, riz (l'importance du riz ! incontournable), tout est passé en revue et analysé, décrit, apprécié, ou rejeté selon sa qualité. Et le plat n'est rien, sans le contexte (lieu, service, atmosphère...) où il est servi. De cette façon, il sert de prétexte à voyager dans la région de Tokyo, avec une finesse de détail et une profondeur de champ qui font croire au lecteur qu'il s'y trouve vraiment.
En refermant ce livre, je n'ai qu'une envie : voyager là-bas, pour goûter ces plats souvent tous simples, et marcher dans les pas du gourmet solitaire - mon double japonais?
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