A cette question préliminaire, le seul titre du roman, La possibilité d’une île, semble y répondre à travers l’homophonie « du nihil » (« rien » en latin). Comme si, après la lecture de cet ouvrage, Il n’y avait plus rien à espérer, plus rien à demander, mais plus rien à craindre non plus.
Comme dans toutes les œuvres de Michel Houellebecq, les tragédies moroses de ses personnages permettent au lecteur de contempler sa propre vacuité – pour « rester vivant », et non pour mourir de tristesse. La possibilité d’une île enchevêtre deux histoires à partir d’une ellipse narrative originale : un néant spatio-temporel entre la vie de Daniel 1 et de son dernier clone, Daniel 25.
Daniel 1, célèbre humoriste, s'égare dans une vision nihiliste de la vie où tout perd peu à peu son sens. L’alternative face à laquelle il se voit confronté est la suivante : l’amour pur avec une femme ou la pratique d’une spiritualité tournée vers un érotisme en exercice, adjoint à la promesse de la vie éternelle via le clonage.
Face à l’échec de ses relations amoureuses, désespéré, privé de toute entremise divine, il adhère au mouvement raelien pour devenir immortel.
Daniel 25, sa descendance parfaite, est un être désincarné. Un être de verbe, quantifié, qui existe exclusivement à travers les mémoires de son archétype. Son existence se borne à incarner celui qui a vécu avant lui. Son enveloppe charnelle n’a aucune importance : il n’est qu’à travers le prisme univoque de son écran – internet, allégorie infinie du « moi ».
Un écran 15 pouce est plus vaste que le monde. Car il le contient, et en contient mille autres. Écho terrifiant pour nous, dans ce monde où l’on existe davantage via son « profil » que dans la vie bassement matérielle, où notre ego peine à se suffire de lui-même; où le « moi » aspire à instituer son épitaphe partout, comme pour rappeler qu’il est vivant.
La réification de l’immortalité que propose Houellebecq a l’immense intérêt de susciter une réflexion brutale sur notre condition humaine. Méritons-nous d’être vivants ? Méritons-nous de vivre après la « vallée de larmes », ce monde dans lequel nous refusons la fatalité ?
Un roman, deux confessions cohabitant dans une seule et même virtualité : l’écriture. Celle de leur propre mythologie, insuffisant palliatif à l’oubli dans lequel un tout un chacun plonge.