Richard Fleischer est l'un des metteurs en scène les plus passionnants du 7ème art. Touchant à tous les genres, il fit preuve, à l'instar d'un Stanley Kubrick (toutes proportions gardées), d'une capacité surprenante à livrer des oeuvres extrêmement réussies aussi bien dans l'aventure (Les vikings), le fantastique (Le voyage fantastique), le film de guerre (Tora ! Tora ! Tora!), la science fiction (Soleil vert) ou encore l'action (Mr Majestyk).
Touche-à-tout mais toujours respectueux du genre qu'il abordait, Fleischer fut ainsi à l'origine de longs-métrages dont l'imagerie est toujours présente dans l'imaginaire collectif (les explorateurs du corps humain dans Le voyage fantastique ou les bateaux des Vikings, notamment).
C'est cependant en 1968 que le metteur en scène réalisa son chef d'oeuvre, retraçant à l'écran l'histoire vraie d'Albert de Salvo, tueur en série qui défraya la chronique à Boston entre 1962 et 1964 en se rendant coupable du meurtre de 13 femmes par strangulation.
L'étrangleur de Boston est fascinant à double titre. Tout d'abord, Richard Fleischer fait une utilisation remarquable du split screen, technique consistant à morceler le cadre en plusieurs parties à l'intérieur desquels se déroulent des actions différentes ou, le plus souvent, une même action observée de différents points de vue. La technique, utilisée par la suite à foison par Brian de Palma, sera également exploitée par Norman Jewison la même année dans L'affaire Thomas Crown. Loin de n'en faire qu'un usage purement ornemental, Fleischer utilise le split screen à des fins totalement dramaturgiques servant pleinement le récit et la narration. Ainsi, les scènes précédant les meurtres sont le plus souvent filmées à la fois du point de vue du tueur se rapprochant de l'appartement de la victime, mais aussi du point de vue de la victime à l'intérieur de son appartement, le tout dans des cadres différents à l'intérieur du cadre principal. L'idée de la menace approchant sa proie innocente est ainsi exposée avec extrêmement de force, décuplant le suspense et créant un réel sentiment de fatalité et d'impuissance chez le spectateur.
Le second facteur de fascination exercé par le film tient à la nature du personnage de l'étrangleur, joué avec un talent ineffable par le regretté Tony Curtis, qui trouva dans le personnage d'Albert de Salvo le rôle le plus marquant de sa carrière. L'acteur souhaitait trouver un rôle qui lui permette d'exploiter ses talents dramatiques, Curtis ayant été jusqu'alors principalement utilisé dans des comédies. Et dire que l'acteur s'en sort haut la main serait un doux euphémisme tant sa performance dans L'étrangleur de Boston marque les esprits et provoque un trouble extrêmement dérangeant chez le spectateur. En effet, la force du personnage de l'étrangleur réside dans l'humanité que lui confère Fleischer, De Salvo étant présenté certes comme un meurtrier, mais également comme une victime. Sans dévoiler la fin de l'histoire, la nature schizophrénique et psychotique du personnage consume littéralement ce dernier. Marié et père de deux enfants, l'étrangleur est ainsi en permanence dans un état de dédoublement de la personnalité, tiraillé entre sa vie de famille (c'est un mari aimant et un père attentionné) et son irrépressible besoin de tuer.
Le tour de force du film réside ainsi dans l'attachement que le spectateur ressent pour ce personnage d'assassin, Fleischer rappelant la paradoxale humanité de l'étrangleur et ne se bornant pas à s'intéresser uniquement à ses pulsions meurtrières. Cette dualité du personnage sera pleinement exploitée dans la dernière partie du métrage, au cours de laquelle l'homme de loi incarné par l'impérial Henry Fonda permettra à De Salvo d'accoucher du mal qui le ronge, d'en prendre conscience, le conduisant ainsi vers une issue tragique que le plan final du film, sans aucun dialogue, illustrera d'une manière terrible, par la seule force de la mise en scène et l'utilisation de la couleur blanche. La maïeutique mise à l'oeuvre par le personnage de Fonda aura paradoxalement permis à l'étrangleur de se trouver, mais aussi de se perdre définitivement. Soulignons également l'utilisation des jeux de miroirs et des reflets, constituant l'illustration visuelle de la dualité du personnage de Curtis, aussi bien lors de ses méfaits (voir la scène dans laquelle il s'aperçoit dans un miroir alors qu'il est en train de maltraiter une femme), que dans la confrontation finale avec Fonda.
L'étrangleur de Boston s'inscrit donc comme un thriller psychologique de haute volée, soutenu par des comédiens en état de grâce et doté d'une mise en scène extrêmement intelligente et novatrice. La modernité du style de Fleischer frappe encore aujourd'hui, et si le film vous est encore inconnu, je vous envie de le découvrir...
Introduction du personnage interprété par Tony Curtis, au bout de 50 minutes de film: