A propos de Les rêves dansants d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann 2 out of 5 stars
En 2007, la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009) décide de reprendre une de ses spectacles les plus célèbres, Kontakthof, créé en 1978. Mais cette fois, ce sont des adolescents non professionnels de 15 ans qui s’y collent. Le film d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann témoigne de ce travail et de ce spectacle monté sur un an dans la ville de Wuppertal, en Allemagne de l’Ouest.
La chorégraphe Pina Bausch a inventé dans la danse le concept de Tanztheater (en français « théâtre dansé »). Avec pour thèmes de prédilection la solitude des êtres dans les grandes villes, l’impossibilité de nouer une relation à l’autre, elle a critiqué les codes artificiels de la séduction et introduit dans le danse la notion d’autonomie du corps du danseur.
Kontakthof (en français « cour de contacts » mais aussi… « maison de passe ») avait déjà été repris en 1999 par des danseurs amateurs de plus de 65 ans. Cette fois, 46 adolescents, collégiens de Wuppertal, ont répété chaque semaine pendant un an la pièce de Pina Bausch, à raison de 2 heures par semaine (cinq à huit pour les premiers rôles).
A une période de leur vie qui correspond à la puberté, où le contact physique avec les autres est difficile, Bausch a observé au fil des répétitions la mue de ces jeunes danseurs amateurs, filles et garçons, passés du stade où ils avaient « du mal à se toucher » entre eux à celui où ils ont prise pleinement « conscience de leur corps ».
Le documentaire témoigne de cette évolution. Mais peut-être parce que les réalisateurs ont été forcés de rester à une certaine distance des danseurs pour ne pas les gêner dans leur travail ni les déconcentrer dans leur effort pour lever ce voile de pudeur qui les paralysait, Les rêves dansants reste un peu trop extérieur au spectacle, ne parvenant pas à capter réellement les danseurs dans leurs rêves et surtout leur intimité.
C’est une frustration que l’on ressent. On aurait aimé que la caméra capte davantage de l’intérieur les émotions de ces adolescents entre deux âges. Avec plus de tension du moins.
On ne sent pas le trouble ni l’effervescence, la peur ni l’enthousiasme qui naissent tour à tour chez ces jeunes danseurs amateurs.
Les rêves dansants ressemble à un document fourni par les chorégraphes eux-mêmes pour spectacle, une trace un peu froide des répétitions. Manque l’agitation, le frémissement que danser a suscité dans leurs corps chez ces adolescents.
Parfois, une interview contredit brièvement cette critique, bribe dans laquelle par exemple une jeune blonde qui tient le premier rôle confie qu’elle aurait rêvé que feu son père assiste au spectacle ou passage où un jeune danseur allemand d’origine rom et bosniaque dit avec sensibilité et intuition que la danse chez Bausch n’est ni « masculine ni féminine ».
Mais ces moments sont trop rares. Le film enchaine les scènes de répétition un peu mécaniquement jusqu’au spectacle final. Sans montrer de vraie ligne directrice ni de parti pris formel dans ce qu’il veut dire. C’est-à-dire qu’entre la discussion sur ses origines d’un jeune Allemand et les rêves d’une danseuse qui a perdu son père, on ne voit pas trop le rapport mais plutôt un amalgame de tout et n’importe quoi.
Malgré son académisme, on retiendra la générosité et les beaux portraits de Pina Bausch, la concentration de son visage au moment d’assister aux répétitions. Mais le sentiment d’avoir raté quelque chose reste, comme si on nous avait privé du plaisir d’assister aux émois et au ressenti que cette expérience avait suscité chez ces adolescents. Quid de leur excitation ? De leurs angoisses? De leur joie ? on ne sent pas l’ébranlement que jouer et danser suscite. Ce passage où tombe leur timidité. Il y avait sans doute mieux à faire, davantage à investiguer dans cette expérience qui marquera ces jeunes pour un bout de temps.