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Fiscalité du patrimoine : comment Sarkozy veut reprendre la main.

Publié le 15 octobre 2010 par Juan
Fiscalité du patrimoine : comment Sarkozy veut reprendre la main.Le mot d'ordre est lancé : il faudrait remettre à plat la fiscalité du patrimoine. La droite sarkozyenne veut prendre l'opposition à contre-pied. Les critiques répétées contre le bouclier fiscal et le Président des Riches ont décidé Nicolas Sarkozy, il y a 3 mois, à réagir. Le bouclier devenu boulet, il faut trouver urgemment comment sauver le patrimoine des plus riches.
Le bouclier des riches
L'arnaque a été repérée de loin : en voulant supprimer le bouclier fiscal, certains députés UMP souhaitaient supprimer l'impôt de Solidarité sur la Fortune. Mercredi matin, François Baroin a repris à son compte l'argument : le bouclier n'existerait qu'à cause de l'ISF. Nous sommes bien loin du discours de campagne en 2007, quand le candidat Sarkozy vendait le renforcement du bouclier fiscal à 50% comme une mesure favorable au Travail :  « nul ne paiera au fisc plus que la moitié de ce qu’il a gagné » nous expliquait -il en janvier 2007.
Evidemment, l'affaire ne sera pas facile à faire accepter. Sarkozy souffre déjà de son image de Président des Riches. Ajouter un cadeau de près de 4 milliards d'euros d'ISF à quelques mois de l'élection présidentielle serait très malvenu... sauf à prendre quelques précautions pour enrober la mesure.
La première étape du plan fut de s'abriter derrière l'Allemagne, au nom de la compétitivité. Début août, Sarkozy a donc demandé à la Cour des Comptes un rapport comparatif sur les fiscalités allemandes et françaises. La Cour a prévenu qu'elle ne rendrait ses conclusions qu'au début de l'année prochaine.
Seconde étape, élargir le sujet à une refonte de la fiscalité du patrimoine. Le lien avec la compétitivité du pays n'est pas évident. On croyait qu'on allait parler coût du travail ou fiscalité des entreprises. Que nenni ! L'amélioration de la compétitivité version Sarkofrance nécessiterait de ... « refondre l'ensemble de notre fiscalité du patrimoine dans le cadre d'une convergence avec l'Allemagne », dixit Luc Chatel, mercredi matin). Christine Lagarde, jeudi, fut plus explicite : « le président de la République l'a indiqué mardi aux parlementaires, le projet consiste en 2011, une fois passée la loi de finances, à se poser calmement la question de savoir comment on maintient la compétitivité de la France dans un paysage déséquilibré. L'idée, c'est d'essayer de rééquilibrer, vis-à-vis notamment de nos partenaires allemands. » Et elle ajouta : « Il faut regarder en profondeur la fiscalité du patrimoine, tous les éléments. Le paysage est ouvert, l'horizon est large. Il faut regarder quels objectifs on a, sur le plan économique et sur le plan social, et voir comment on redessine, quelle assiette on prend... »
Jeudi, Yves Jego demandait un Grenelle de la fiscalité, relayant une proposition de Jean-Louis Borloo. Le député UMP a dû lire Sarkofrance. En novembre 2007, nous nous demandions pourquoi Sarkozy n'avait pas lancé de Grenelle sur la fiscalité.
De quoi parle-t-on ?
Le lien entre fiscalité du patrimoine et compétitivité commerciale et industrielle du pays est difficile à établir. La droite rappellera, évidemment, qu'elle veut éviter l'évasion fiscale. Après l'affaire Woerth/Bettencourt, l'argument prête à sourire. Liliane Bettencourt est parvenue à ne déclarer que 70 millions d'euros de revenus annuels, sur les plus de 200 millions d'euros de dividendes perçus de l'Oréal, et à toucher 30 millions de remboursement fiscal au titre du bouclier.
En mars 2009, le Conseil des Prélèvements obligatoires, qui dépend de la Cour des Comptes, avait publié un rapport sur la fiscalité du patrimoine des ménages sur la période 1997-2007, qu'il s'agisse du patrimoine immobilier, mobilier, ou professionnel. Le spectre de l'étude incluait aussi bien les biens détenus, les biens transmis que les revenus récurrents tirés de ces biens.
1. Il relevait que le patrimoine des ménages a progressé plus fortement que les revenus, grâce à l'immobilier et les placements financiers (notamment l'assurance vie) : la richesse nette des ménages a cru de 7,6% par an et par ménage (en moyenne), de 160 000 euros en moyenne en 1997 à 380 000 en 2007. Sur la décennie précédente, cette progression n'était que de 2,3% par an. Il y a donc eu une véritable accélération depuis une douzaine d'années.
Le principal facteur avancé était l'inflation des biens immobiliers, après la crise et la stagnation de 1990 à 1997. Les facilités de crédit ont boosté l'endettement des ménages, mais, la faiblesse des taux d'intérêts aidant, le solde net entre actif (immobiliers) et passif (i.e. les dettes) est resté très positif. Le Conseil notait qu'en juillet 2008, « près de 75% des encours de crédits aux ménages concernent des crédits à l’habitat. »
2. Autre conclusion, l'essentiel du patrimoine des ménages est non financier, c'est-à-dire principalement des logements et terrains détenus à titre privé, et, dans une moindre mesure, des actifs professionnels. Le Conseil estime à 15% la part du patrimoine professionnel dans le patrimoine total des ménages (hors endettement). Cette relative faiblesse des actifs financiers est une spécificité française parmi les pays de l'OCDE. L'explication est simple : le poids de la retraite par répartition évite aux ménages de s'assurer massivement en placements financiers comme c'est le cas notamment aux Etats-Unis ou au Royaume Uni : « Il est vraisemblable qu’en ajoutant au patrimoine analysé ici un équivalent patrimonial des droits à la retraite, la composante non financière du patrimoine retrouverait une dimension comparable à celle des pays anglo-saxons.»
 3. Les actifs financiers détenus par les ménages (environ 35% de leur patrimoine) sont des dépôts (à 35%), de l'assurance vie (30%), et des actions (en direct ou via des organismes de placement collectifs, à 12%). L'un des faits marquants de la période a été le boom de l'assurance vie : « Entre 1997 et 2007, les ménages ont investi dans l’assurance-vie des flux réguliers et importants, plus de 50 milliards d’euros chaque année. » Des placements, rappelons-le, largement défiscalisés par les différents gouvernements de droite, ... comme de gauche. Depuis 2006, ces placements dépassent les 80 milliards d'euros annuels.
4. On l'oublie trop souvent : les ménages financent une large part de la dette publique. 54% du patrimoine financier total des ménages, via l’assurance-vie ou les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), sont placés auprès d'établissements financiers, dont la moitié à l'étranger.
En d'autres termes, les contribuables, via les impôts, payent agios et échéances d'une dette publique accumulée pour cause de déficit budgétaire ; les ménages aisés, créanciers de l'Etat, touchent une part de ces mêmes agios. Les plus fortunés placent plus et optimisent davantage les niches fiscales que les classes modestes ou moyennes. A l'inverse, ces dernières payent, en proportion de leurs revenus, davantage d'impôts directs (Impôt sur le Revenu) ou indirects (TVA).
Rappelons quelques chiffres : en 2009, la TVA représentait 58% des recettes fiscales de l'Etat (122 milliards d'euros), l'IR 22% (46 milliards), l'impôt sur les sociétés 9% (19 milliards), et l'ISF ... moins de 2% (3,6 milliards d'euros).
5. Plus on est riche, plus le patrimoine financier est diversifié. Le Conseil distinguait 5 catégories de portefeuilles financiers (i.e. hors habitation). Pour les trois premières familles, le placement a une vocation de précaution, d'assurance contre la précarité.  
- un tiers des ménages n'ont que des livrets d'épargne : « les détenteurs, essentiellement des jeunes ou des personnes âgées, disposent de revenus faibles et ont un patrimoine limité
- 11% des ménages détiennent livrets et assurance vie : « ce sont des ménages âgés, ou en situation précaire soit du point de vue familial (famille monoparentale) soit du point de vue de l’emploi (ayant connu de longues périodes de chômage).»
- 17% des ménages disposent d'un portefeuille composé d’épargne logement et de livrets : cette catégorie « rassemble des ménages de moins de 40 ans, disposant de revenus modestes, qui ne sont pas encore propriétaires mais qui épargnent en vue d’un projet immobilier. »
Puis viennent les deux catégories les plus fortunées :
- 25% des ménages, « aisés, situés dans le dernier décile des revenus ou de patrimoine et possèdent souvent un niveau d’éducation élevé », possèdent une combinaison de livrets, d’épargne logement, d’assurance-vie et de titres.
- 14% des ménages, « entre 50 et 60 ans, qui disposent de revenus et de patrimoine élevés », ont essentiellement des valeurs mobilières et de l’assurance-vie.
6. La répartition du patrimoine est encore plus inégale que celle des revenus. Fin 2003, les 10% des ménages les plus riches avaient un patrimoine moyen 400 fois supérieurs à celui des 10% les plus pauvres. Les 1% plus riches possèdent 13% du patrimoine brut total des ménages français, « une proportion stable depuis 1991.» Le Conseil note cependant que ces « inégalités de patrimoine semblent toutefois moins fortes qu’à l’étranger. » En France, les 10% les plus riches possédaient, fin 2003, 38% du patrimoine. Ce taux était de 54% en Allemagne, 71% aux Etats-Unis, 45% au Royaume Uni, 58% en Suède.
7. Le patrimoine des plus riches progresse plus vite que celui de la majorité des ménages. Le Conseil avance deux explications : la bulle immobilière, et la plus grande diversification des placements financiers chez les ménages les plus riches. Les classes modestes et moyennes (qui représentent quand même 75% de la population !) privilégient en effet les placements prudents, donc à faible rendement.
L'analyse par tranche d'âge est intéressante : en 2003, le patrimoine médian se situait à 112 000 euros par ménage. Les moins dotés étaient les moins de 30 ans, un constat assez logique : 50% d'entre eux avaient un patrimoine supérieur à 11 000 euros. Suivaient les 30 à 40 ans (80 000 euros) et ... les plus de 70 ans (110 000 euros). Les plus riches étaient les 50 à 60 ans (175 000 euros) et les 60 à 70 ans (162 000 euros).
En résumé, les patrimoines les plus élevées se sont envolés depuis une grosse décennie, grâce aux bulles immobilières et financières, et les inégalités ont progressé, avant même l'entrée en vigueur du bouclier fiscal (voté en 2006, renforcé en 2007).
C'est dans ce contexte, que Nicolas Sarkozy a décidé de « réformer » la fiscalité, laissant déjà entendre que le patrimoine était trop taxé, et que cela nuirait à la compétitivité du pays. Il ne lui restait plus qu'à déclamer, mercredi puis à nouveau jeudi, qu'il entendait bien réformer le pays jusqu'au bout de son quinquennat.
Ce scenario bien rôdé a été bousculé dès jeudi. Ce jour-là, Sarkozy était à Bordeaux. En partant, il croyait que la contestation contre sa réforme des retraites s'essoufflait. A l'exception de quelques irréductibles dans les raffineries, l'essentiel des grévistes avaient repris leur travail.
Puis, patatras, des centaines de lycées étaient à nouveau bloqués, des manifestations spontanées, partout en France, montraient que la jeunesse était dans la rue.
Le Président des riches a-t-il du souci à se faire ?


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