J’ai ressorti mes lettres de scrabbles et j’ai essayé de transformer le titre du dernier Bret Easton Ellis en un “Supplice … quelque chose” : et bien, force est de constater qu’il n’y a pas moyen. Et pourtant… Ce roman était présent dans les plus “lus” de Babelio pendant quelques temps, il a été largement salué sur lent dans de brillants articles de la part de gens qui peuvent se permettre d’avoir un avis. D’autres articles le vantaient tout autant sans toutefois que leurs auteurs ne me donnent l’impression d’avoir dominé la bête. Enfin, dernièrement, j’ai quand même réussi à trouver quelques “tweets” sur Twitter qui dénonçaient ce livre. Comme quoi, un blockbuster ne peut pas faire l’unanimité.
Suite(s) impériale(s), Bret Easton Ellis
Curieusement, on pourrait dire de “suites impériales” qu’il est un polar régional : en effet, on ne quitte jamais vraiment L.A., et il s’agit bien d’un polar…. d’un noir bien intense.
Oubliez toute notion de “héros” : Clay, le narrateur est tout sauf ça. Une forme de anti-héros, soit, mais encore plus dévasté que ceux que j’ai pu croiser jusqu’ici.
Oubliez tout espoir d’Happy Ending : a priori, ce n’est pas le trip de l’auteur et en cela, il se démarque vraiment de la production américaine telle qu’on la perçoit bien souvent.
Oubliez toute croyance en une moralité : Ellis dépeint de sordides tableaux de déchéances, de traitrise, de violence et de vulgarité. Il y a des fins, et peu importe les moyens.
D’après ce que j’ai pu lire ici et là, “suites impériales” est une suite (Moins que Zéro) 25 ans après la sortie de celui-ci. Ces personnages eux aussi ont pris 25 ans : mais de jeunes paumés, ils sont simplement devenus des quadras friqués, désabusés et camés jusqu’à la moelle. Le narrateur “Clay” est un scénariste à succès. Il descend de New York à Hollywood pour, entre autres, avoir un oeil sur les castings d’une série “les auditeurs”. Sa vie se résume à récupérer le jour des cuites monumentales qu’il ramène des innombrables fêtes orgiaques dans lesquels il atterrit, parfois sans trop savoir comment. Et puis, soudain il y a Rain Turner. Une jeune femme, blonde californienne of course, qui d’un regard le chamboule. Actrice ratée, elle va chercher à le séduire et obtenir de lui un casting… et sans doute un peu plus.
Mais, parce qu’il y a un mais, Clay vient de mettre les pieds dans une combine dont il n’a pas idée de l’envergure. Tous ces potes d’antan défilent alors, entre mises en gardes, précautions, menaces et chantages.
Rien n’est simple. Les scènes se télescopent. Les personnages sont tous ambigus et la plupart sans scrupule. Ellis nous trompe et nous perd, cherche à nous maintenir la tête dans une bassine de pétrole qui aurait rallié cet été la côte Ouest depuis la Floride. La curiosité de Clay est morbide, l’atmosphère poisseuse et malsaine, et l’on a du mal à comprendre pourquoi ce Clay continue à jouer avec le feu, à flirter avec sa (ses) peur(s) tant il y a d’inconnues dans l’équation.
Au bout de quelques pages, je m’en suis voulu d’avoir acheté ce bouquin : violence, argent facile, drogue, alcool, sexe, meurtre, torture….
Et puis le style d’écriture d’Ellis…
Je suis convaincu que si un jeune auteur se permettait d’écrire ses premières pages de cette façon, il se ferait jeter en deux pages sans passer par la case “Comité de lecture”.
On pourrait presque dire que “suites impériales” est bâti comme un blog, celui de Clay, mais qu’il n’a pas pris la peine d’écrire ce qui lui arrive : il a simplement transcrit ce qu’il a raconté à un dictaphone.
Et puis, finalement, après avoir frôlé la folie furieuse, celle de Clay ou d’Ellis, je ne saurais dire, on achève le bouquin sur une phrase qui résume tout :
Je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens.
Alors, en définitive, qu’en retenir ?
Tout d’abord, et malgré mon premier réflexe de tout jeter aux orties, je ne suis pas d’accord avec ces quelques rares tweets que j’ai pu voir qui dénonce un “livre inutile et raté”. A mon humble avis, aucun livre ne peut être traité ainsi : il s’agit d’un problème d’adéquation entre des attentes d’un public/lectorat et des velléités d’un auteur.
Quelque part, Bret Easton Ellis s’est frayé un chemin jusqu’à la renommée avec ses premiers romans. A tort ou à raison, je ne peux juger puisque je n’ai pas lu.
D’un côté, donc, je me dis qu’avec la notoriété acquise, il s’est permis de se lâcher…. complètement… faire un bouquin comme il en avait envie, avec une narration à lui, avec des questions sans réponses, de la folie furieuse et une absence totale de jugement.
D’un autre côté, j’arrive assez facilement à croire que même les auteurs sont des produits marketings. Regardez simplement la couverture. Un calque jaune pétant, le nom de l’auteur en grand et le titre en petit. On vend d’abord du Ellis… C’est le flacon : quid de l’ivresse ?
En conclusion, et toujours à mon humble avis, le meilleur résumé est en quatrième de couverture et il a été écrit par le Financial Times :
Une danse macabre dans un Los Angeles cauchemardesque… Par-dessus tout, Ellis cherche à savoir pourquoi - ou plutôt quand - les individus deviennent des monstres. A quel moment, à quel seuil de douleur ou de léthargie l’humain disparaît-il ?”
Avec le recul, parce que j’ai terminé le bouquin depuis plusieurs jours, je me dis que ce journaliste américain a tapé juste . Suite(s) Impériale(s) est cela pour moi : un labo expérimentale sous le ciel brumeux californien, auprès de la population friquée et désenchantée de L.A. où Ellis pousse ses persos à bout.
“Suite(s) impériale(s) n’est pas une lecture facile… et n’est pas recommandé (ni recommandable) à tout le monde.