Ces derniers jours les panneaux publicitaires toulousains sont tapissés d’une de ces affiches ponctuées de logos à faire froid dans le dos — ceux des ministères du Salut Public, de la Pensée Correcte et de la Santé Mentale, sans oublier l’incontournable onction des Collectivités Territoriales (quel beau mot que collectivité, et d’usage fréquent sous ces latitudes!) — où l’on nous assène un slogan choc à l’usage des cyclistes:
LE CASQUE N’EST PAS OBLIGATOIRE, IL EST INDISPENSABLE
Me voilà désormais irresponsable désigné à la vindicte populaire, en attendant d’être promu au rang de délinquant et justement sanctionné, car au pays où l’Etat s’occupe du bien-être de tous, comment quelque chose d’indispensable — puisqu’on vous le dit! — pourrait-il ne pas être obligatoire? Du jour au lendemain, des millions de pékins qui usent de leur bicyclette de la manière la plus simple, comme cela a toujours été le cas depuis la bonne centaine d’années qu’elle a été inventée, se voient montrés du doigt pour ne pas prendre soin de leur propre personne selon les canons de l’hygiène et de la sécurité tels que stipulés par l’administration. Et comme Big Brother n’a jamais tort, pour que le casque soit effectivement indispensable, rien de mieux que de nous pondre une petite loi imposant son port. On en profitera au passage, outre le fait de rendre la vie un peu plus impossible à tout un chacun, ce qui procure un vif plaisir à nos hommes politiques, pour renflouer les caisses de l’Etat, encore que ce qu’on peut extorquer du possesseur d’une bécane à mille balles soit bien moindre que ce qu’on peut pomper de celui d’une caisse qui en vaut cent mille.
Le plus triste, c’est que nos Français conditionnés pour « penser collectiviste » approuveront sans doute majoritairement, car, comme il est moins dangereux de pédaler avec un casque que sans, comment pourrait-on raisonnablement s’opposer à cette mesure? Tout ce qui est bien doit être obligatoire, et tout ce qui est sûr est bien — même si c’est moche, con, encombrant et désagréable. Voilà la mentalité actuelle qu’on suçote sans s’en rendre compte avec chaque dépêche de presse, chaque explication didactique et souriante d’un présentateur-télé, chaque article niais de la Presse Quotidienne Régionale à l’intention des retraités précoces.
Inutile d’expliquer à ces veaux que le B.A.BA d’une société libre c’est que l’individu soit seul juge des risques qu’il prend, à condition bien sûr d’en assumer toutes les conséquences. D’ailleurs, quand on essaye, ils vous ressortent un argument massue: LA SECU!
Quoi que tu fasses, mon pote, dis-toi bien que ça concerne tout le monde, et bientôt il y aura des lois pour t’empêcher de changer une prise de courant sans faire appel à un prauphessionnêêl et pour réguler la fréquence avec laquelle tu baises ta femme. Parce que voilà, dis-toi bien qu’on est tous so-li-daires et que si tu te fais mal, tu deviens un poids pour la collectivité: tu coûtes de l’argent à la sécu.
Inutile de répondre que l’affiliation à la dite sécu, qui d’ailleurs souffre d’un trou budgétaire béant et dont les remboursements sont chaque jour plus indigents, est obligatoire et que le pauvre bougre qui veut faire de la patinette sans airbag n’a jamais demandé à ce qu’on l’y inscrive.
On lui répondra que ça serait vraiment trop injuste que chacun ait sa propre assurance maladie privée parce que les sales riches bien portants paieraient moins que les pauvres malades et ça serait la fin de la solidarité, ce qui avec les menaces pesant sur l’exception kulturelle présage du crépuscule de l’Espace de Francitude Génial.
En d’autres termes c’est grâce aux pauvres malades avec lesquels il faut être solidaire qu’un petit click vaut mieux qu’un grand choc et que le contribuable paye des flics pour regarder, à travers la vitre, ce qu’il fabrique à l’intérieur de sa voiture, et que le jour viendra où les cyclistes devront transpirer sous leur casque sous peine d’amende et où la maréchaussée fera des descentes chez les gens pour vérifier la conformité aux normes de leurs chaudière. Ils en profiteront d’ailleurs pour vérifier si les ordures sont correctement triées et pour demander aux enfants si leurs parents n’auraient pas par hasard tenu des propos racistes et xénophobes ou lu des BDs douteuses.
P.S. — Le texte exact est « A vélo, le casque c’est pas obligatoire, le casque c’est indispensable « . Vous saisissez toute la nuance, j’espère? Big Brother adopte le langage parlé du pote qui nous tape dans le dos, ce qui lui permet en même temps de forcer la note sur l’impératif, car si je suis ton pote, je peux me permettre de m’adresser à toi de façon directe et sans ambages.
- Article initialement paru sur le blog de Zek.
- Illustration sous licence Creative Commons : Cycliste casqué