Chaque année, en octobre, c’est la période des prix Nobel. Et chaque année il faut subir les mêmes marronniers, aussi faux l’un que l’autre. Successivement :
– il n’y a pas de prix Nobel de mathématiques à cause d’une querelle amoureuse ;
– le prix Nobel d’économie est une usurpation.
Concernant la première affirmation, elle se révèle aussi croustillante que dépourvue du moindre fondement (consultez la notice de wikipédia pour les détails). En vérité, Alfred Nobel, fidèle à l’esprit pratique de son époque, voulait récompenser des inventions et pas la recherche fondamentale à laquelle les mathématiques sont nécessairement cantonnés. Le prix a évolué et sanctionne désormais des découvertes parfois très théoriques mais la création de la médaille Fields ôte l’utilité de l’intégration des mathématiques dans les Nobel.
Concernant la seconde affirmation, à savoir le prix Nobel d’économie ne serait pas un vrai prix Nobel et serait décernée par les banques. Ce serait donc une « imposture », une « mystification » dixit la presse alter. Le titre du présent article n’est d’ailleurs qu’un titre du monde.fr que j’ai retourné.
Or le prix Nobel d’économie, qui s’appelle techniquement « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » n’a de divergences que dérisoires avec les autres Nobel.
Quelles sont ces divergences : le prix d’économie est relativement récent, créé en 1968, il ne figure évidemment pas dans le testament fondateur d’Alfred Nobel. Le prix Nobel d’économie porte un nom différent des autres Nobel. La discipline qu’il sanctionne n’est pas une science dure, mais tel est également le cas des prix Nobel de littérature, médecine et paix. Le prix est doté par la banque éponyme contrairement aux autres prix.
Et c’est tout… La critique du prix Nobel d’économie s’associe donc avec un respect de la volonté testamentaire bien surprenant.
Quant aux points communs, ils sont décisifs : le prix est géré par la même fondation Nobel que les autres prix ; la fondation lui fait suivre le même régime ; le lauréat est nommé par l’académie des sciences royales suédoises -et certainement pas par les banques comme on peut parfois le lire.
Si on cherche un prix politique, mieux vaut se pencher sur le cas du fameux prix Nobel de la paix, décerné par une émanation du parlement norvégien, au choix souvent peu inspiré et qui devient actuellement un prix des droits de l’homme et du progressisme.
Alors pourquoi tant de haine contre le prix d’économie ?
Tout simplement parce que le prix Nobel a récompensé un certain nombre d’économistes « néolibéraux. » Il est donc « vendu. »
Pourtant le triomphe des « néolibéraux » est loin d’être systématique… (photo)
Si les critiques sont déplacées et peu neutres dans leur jugement, il est certes vrai que le prix n’est pas exempt de critique, lui qui confère une aura exagérée aux spécialistes économiques. Rueff ne remarquait-il pas que « ce qui caractérise les experts, c’est qu’ils sont toujours experts en quelque chose, mais rarement dans le domaine où on les consulte. »
Ainsi un récipiendaire du prix exprimait son hostilité à un tel prix en les termes suivants :
« Je dois confesser que si on m’avait consulté sur la question d’établir un Prix Nobel d’économie, je me serais exprimé fermement contre.
« [D’abord je] craignais qu’un tel prix […] tendrait à accentuer le mouvement vers la mode scientifique.
« Cette inquiétude, le comité de sélection l’a brillamment réfutée en décernant le prix à quelqu’un aux vues aussi peu à la mode que les miennes. […]
« [La seconde raison] est qu’un Prix Nobel confèrerait à un individu une autorité qu’en économie nul homme ne devrait posséder.
« Ceci est sans conséquence en sciences naturelles. Ici l’influence d’un individu est d’abord une influence sur les autres spécialistes ; et ceux-ci le tailleront en pièce rapidement s’il excède sa compétence.
« Mais l’influence d’un économiste qui compte est une influence sur les profanes : politiciens, journalistes, fonctionnaires et le public en général.
« Il n’y a pas de raison pour qu’un homme qui a effectué une contribution remarquable à la science économique soit omnicompétent sur tous les problèmes de la société – comme la presse tend à le traiter jusqu’au moment où il pourrait lui-même en finir persuadé. […]
« Je suis dès lors presque enclin à suggérer que vous requériez de vos lauréats qu’ils prêtent serment d’humilité, une sorte de serment d’Hippocrate, pour ne jamais se prononcer publiquement sur des questions qui dépassent leur champ de compétence.
« Ou du moins rappeler au lauréat le sage conseil d’un des plus grands hommes de notre sujet, Alfred Marshall, qui écrivait :
»Les étudiants en science sociale doivent craindre l’approbation publique : le Mal est avec eux quand tous les hommes disent du bien d’eux. » » Friedrich Hayek, Discours au banquet de remise des prix Nobel, 10 décembre 1974, source, traduction libre, (d’après »Les Prix Nobel en 1974 », Editor Wilhelm Odelberg, [Nobel Foundation], Stockholm, 1975)