Doivent-ils parfois au péril de leur vie et de leur sécurité couvrir les zones de guerre ?
Afghanistan, Pakistan, Somalie, Irak, Gaza… Autant de régions où les autorités françaises déconseillent à ses ressortissants et aux journalistes de se rendre… Les journalistes doivent-ils tenir compte de ces mises en garde et renoncer à couvrir ces zones à risque ? Pourquoi la plupart décident-ils de continuer ? Qui et comment décide-t-on de prendre de tels risques ? Quels sont les enjeux ?
C’est tout le débat de la liberté de la presse.
Photo Pixfan – Nikon D700 et AF-S NIKKOR 35mm f/1.4G
Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier sont otages depuis près de dix mois en Afghanistan. Les négociations pour leur libération sont en cours mais la situation est bloquée actuellement du fait de la complexité des échanges.
Grégoire Deniau : Doit-on continuer à aller en Afghanistan ?
Adrien Jaulnes : Oui car si on renonce à suivre un conflit, on renonce à faire son métier. Les conditions de travail dans les zones de guerre se sont considérablement dégradées depuis 2004 avec les premiers enlèvements en Irak. Avant cette période, les risques provenaient essentiellement des affrontements. Les journalistes deviennent une cible pour des raisons politiques ou financières. Cela a complètement changé la donne.
Grégoire Deniau : Comment gérer cette situation lorsque l’on est indépendant ?
Patrick Chauvel : C’est compliqué. Les rédactions américaines ne donnent plus d’ordre de mission aux journalistes étrangers car cela les oblige à payer les études des enfants… Ils veulent à la fois envoyer des journalistes mais ne pas être responsable si ils leur arrivent quelque chose. Les journalistes indépendants partent maintenant sans assurance du fait de son coût très élevé. Ca va coûter 5-600 euros par jour et on va gagner 200 euros. On essaye de faire savoir aux preneurs d’otage que l’on n’est pas intéressant car personne ne va payer notre rançon. On continu à le faire car l’important c’est d’informer. Quand on est indépendant, c’est plus difficile. Il ne faut alimenter le trafic et continuer à aller dans ses pays pour ne pas donner raison aux preneurs d’otage.
Jean-François Julliard : L’image du journaliste a changé. Aujourd’hui, il est considéré comme un espion, un agent à la solde de son gouvernement. La nature des conflits a changé, le journaliste est plus exposé. Il y a une confusion, les journalistes apparaissent plus comme à la solde d’un pouvoir.
Patrick Chauvel : Pourquoi les journalistes sont menacés ? C’est parce qu’ils ont bien fait leur travail et qu’ils deviennent dangereux.
Thierry Thuillier : Les conditions de tournage ont totalement changées. Parfois les armées tiennent les journalistes à l’écart, parfois ils les acceptent à leurs conditions. C’est ce qu’on appelle « l’embedment ». En deux mots, vous êtes autorisé à suivre des unités mais vous n’avez pas votre propre moyen de transport, vous n’avez pas d’accompagnateur et vous êtes soumis aux règles de vie des militaires. Vous prenez les mêmes risques. Ces conditions sont parfois les seuls moyens d’approcher une zone de conflit. Les médias l’acceptent mais c’est une vision partielle et les médias ne peuvent pas s’en contenter. Toute la difficulté est de compléter cette vision.
Qu’est-ce qui fait un bon reporter en zone de conflit ?
Patrick Chauvel : Il faut être extrêmement curieux et avoir envie d’écouter les autres. Être crédible, c’est notre seule richesse.
Thierry Thuillier : Il faut être un peu dingue.
Jean-François Julliard : Il faut partir sans a priori.
Adrien Jaulnes : Il faut être très attentif car la guerre ça change tout le temps, il faut faire attention à tout.
Grégoire Deniau : Autocensure ? Est-ce que cela risque de faire disparaitre notre métier ? Est-ce de plus en plus fréquent ?
Jean-François Julliard : Je ne sais pas si c’est de plus en plus fréquent mais c’est extrêmement grave. C’est la victoire effectivement des ennemis de la presse.
Adrien Jaulnes : C’est un risque permanent.
Patrick Chauvel : Je pense qu’il faut tout photographier mais pas forcément tout montrer car une photo dangereuse aujourd’hui peut être intéressante dans 20 ans. On ne travaille pas que pour la presse immédiate, on travaille aussi pour la mémoire collective. On peut tout photographier mais il faut faire attention à l’effet loupe au moment ou elle va passer. Il faut choisir le moment ou elle sera diffusée. Ce n’est pas de l’autocensure, il faut réfléchir.
Thierry Thuillier : Il y a une responsabilité éditoriale. Notre rôle est de juger d’une diffusion ou non.
Photo Pixfan – Nikon D700 et AF-S NIKKOR 35mm f/1.4G