Un visage d’ange, une voix féminine, de fines tresses qui se lovent sur ses larges épaules. Cherif Mbaw cultive son charme trouble, sans forcer sur la caricature. Portrait de l'auteur de Sing For Me, son nouvel album.
L'école du métro Ailleurs, ce sera Paris où il atterrit en 1994, après avoir gagné une bourse d’étude de l’Unesco. Las, il se retrouve sans le sou."L’argent s’était envolé !" Du coup, c’est sur les bancs du métro qu’il parfait son répertoire, avant d’intégrer comme promis, en 1997, le conservatoire de Créteil, en troisième cycle de guitare classique. Mais c’est encore entre deux rames que l’artiste labellisé RATP rencontre un public. Certains pressent le pas, d’autres prêtent leurs oreilles, comme ce producteur toute ouïe. A l’orée du nouveau millénaire, Cherif Mbaw signe un premier CD : Kham Kham, "connaissance", onze chansons qui soulignent ses qualités de mélodiste. A ses côtés, des musiciens d’horizons divers : le piano du Cubain Omar Sosa et la guitare slide de Debashish Bhattacharya. Cette ouverture sur le monde va demeurer son fil conducteur."J’ai toujours essayé d’amener la musique sénégalaise dans d’autres univers, en introduisant des instruments étrangers, comme cette fois la pedal steel guitar et lap steel guitar. Ce disque va plus vers un son rock, assez proche de Ben Harper." Près de dix ans plus tard, après un deuxième opus passé inaperçu, Cherif Mbaw est de retour aux avant-postes, avec un album nourri de tous ses voyages et rencontres. Amadou et Mariam, Neneh Cherry et Erik Truffaz, et puis surtout Tracy Chapman, pour qui il assura 25 premières parties en 2006, dont un mémorable Olympia. "Cette expérience m’a profondément marqué, en termes d’arrangement. Elle a une exigence de création qui m’a beaucoup boosté. J’aime son folk-rock, ses textes conscients", insiste celui qui a œuvré au Burkina Faso pour la fondation Abbé-Pierre et une ONG Action et développements. Troisième album C’est dans de telles perspectives, une diversité stylistique qui l’emmène jusqu’aux funk et reggae, se risquant même à quelques refrains en anglais, que Cherif Mbaw s’est attelé à l’écriture de ce disque, Sing For Me,seul dans son home-studio, avant d’enregistrer avec le soutien de Francis Campello, le bassiste de Bruce Springsteen, comme réalisateur. "Mon chant reste sénégalais, le mbalax est toujours là. Mais je souhaite montrer que la musique africaine ne se réduit pas à joueur de kora sous un baobab." D’emblée, le Sénégalais témoigne de sa foi avec Mame Yalla avant de saluer deux "guides spirituels" Cheikh Amadou Bamba et Baye Laye. "Dans cet album, j’ai décidé de mettre l’accent sur l’amour et la spiritualité, même s’il y a beaucoup de raisons de râler." D’ailleurs, si l’efficace single Cuckoo Baby "raconte le désir d’intimité de deux amoureux", le chanteur n’oublie pas de pointer les désordres qui rongent l’Afrique. La déforestation est ainsi convoquée de manière symbolique dans Pitch Me, "l’histoire d’un oisillon qui vit sur un arbre. Au cinquième jour, il s’envole, et après une tempête, il ne retrouve plus son arbre, qui a été coupé." De même, il dédie une chanson à l’Afrique, ce continent qu’il regarde désormais depuis le cœur de Paris. "Il faut que l’on compte sur nous-mêmes. Que nos gouvernements valorisent ses enfants. Et améliorent les conditions sociales. Trop d’argent qui n’arrive pas au bon endroit. Et puis trop d’assistance, qui ne nous permet pas au bout du compte d’avancer."
Il a la révélation à vingt ans, alors qu’il vit dans un quartier populaire de Dakar et suit une formation d’apprenti menuisier. "Un de nos clients était Youssou N’Dour. J’ai appris qu’il cherchait des chanteurs. Je suis allé chez lui et il m’a proposé de faire un test, au Thiossane Night-Club. Il m’a dit que j’avais un potentiel, et m’a dit d’aller bosser mon chant un mois auprès d’un formateur. Mais ce dernier m’a dit d’apprendre le solfège et de suivre ma propre voie."
Ce jour-là a changé le destin de celui que l’on compare souvent à You. "Il y a pire étalon, non !? Mais je ne cherche pas imiter l’inimitable." D’autant que son véritable parrain s’appelle Baaba Maal, lui aussi client de la menuiserie, avec lequel il va développer une étroite relation. "Il était comme un grand frère. Il m’a même donné de l’argent pour acheter des fournitures et a suivi si j’étais bien inscrit au conservatoire."
Tout en suivant une solide formation, l’apprenti nourrit sa musicalité en écoutant la musique symphonique, le jazz libre… C’est ainsi qu’il commence un duo avec un guitariste classique, Fada N’Dyae, déclinant les offres d’enregistrement. Il a l’intention de ne pas se limiter au mbalax, il a l’intuition que son avenir se joue ailleurs.