Un roman d’Olivier Bleys (2010), éditions Gallimard 2010.
Résumé : Alors qu’il est mis à la retraite après une longue et méritoire carrière de garde-pêche interplanétaire, Xhan se voit aborder par un individu lui proposant une offre qu’il ne peut refuser : se rendre sur Canisse, un monde mal connu situé en périphérie de l’espace colonisé, afin d’y aider à capturer un mégathalos, poisson gigantesque, grand comme une île, que des générations de braconniers ont essayé de chasser. Il leur faudra l’aide des indigènes qui vivent sur les rares îlots de cette planète-océan et tenter de devancer les braconniers suréquipés…
Une chronique de Vance
Lorsque Babelio a relancé son programme « Masse Critique » (j’adore ce nom !), j’ai fait la grimace : la perspective de lire gratuitement un livre inédit avec pour seule contrainte la rédaction d’une critique (tel que vous me connaissez, vous imaginez bien qu’il ne s’agit guère d’une contrainte) tendait à s’effacer devant la masse de travail qui m’attendait pour la rentrée scolaire dans un nouvel établissement. Mais je n’ai pas pu me résoudre à refuser, en partie parce que ma précédente commande (pour Chroniques de la rentrée littéraire) venait de s’achever ; mais aussi, et surtout, parce que dans le lot, on trouvait de la SF.
Et ça, ça ne se refuse pas.
Non seulement parce que ce genre fait mon bonheur depuis mes tout débuts de lecteur, mais aussi parce que je ne le connais qu’à travers ses grands classiques, ses auteurs de l’Age d’or américain, ceux de la nouvelle vague britannique et les suiveurs français des années 70. Certes, ma vision de la SF est vaste à présent, mais je souhaitais tout de même la renouveler en puisant dans les nouveautés, chose que je ne fais pas suffisamment.
Or, là, il s’agit d’un inédit. Pas encore édité. Et français.
Le coin du C.L.A.P. : C’est un roman de 200 pages, qui se lit finalement très vite. Deux soirées et une bonne séance au cinéma (Des hommes & des dieux) après un après-midi de manif ont suffi à l’achever.
Canisse est présenté comme un planet opera, un sous-genre de la SF nommé souvent planetary romance dont l’essentiel de l’action se trouve concentré sur un monde différent du nôtre : la faune et la flore spécifique de cette planète, ainsi que le contexte géopolitique de ses habitants, influent profondément sur le déroulement de l’intrigue. Les amateurs du Cycle de Ténébreuse (Marion Zimmer Bradley) ou de Dune (Frank Herbert) savent de quoi il en retourne, de même ceux qui apprécient les romans épiques de Jack Vance ou ceux, plus proches de l’heroic fantasy d’Anne McCaffrey (la Ballade de Pern).
Son auteur m’est inconnu, mais il a marqué les esprits par ses précédentes œuvres, comme le Fantôme de la Tour Eiffel. Dès les premières pages, j’ai été séduit par le style : de longues phrases au vocabulaire recherché, à la syntaxe élégante (voire un peu précieuse) et multipliant les propositions subordonnées. Dans l’Hexagone, le seul écrivain qui me vient à l’esprit pour comparer serait Pierre Stolze (tout de même plus friand d’adjectifs parfois obscurs, mais tout autant amateur de beaux mots).
Incipit :
Xhan possédait une vieille édition du Guide Outre-Monde des Chasses & Pêches, petit livre rouge, de format carré, qu’il avait relié à ses frais d’une peau entière de poisson-léopard. Le Guide n’était plus à jour, loin s’en fallait. Plus les années passaient, plus même il renfermait de sottises : il y avait beau temps, par exemple, qu’on ne piégeait plus de lézard à deux langues dans les congères d’ammoniac du Grand Précipice ; quant aux sardines claque-becs de la planète Opale, dont ses collègues âgés avaient fait des fritures, des braconniers sans âme avaient cuit les dernières – nulle bête à nage, il faut dire, n’avait la moindre chance entre les mailles de leurs nasses électriques.
Problème : l’impression de rester « en dehors » de l’intrigue, d’assister plutôt que de participer à l’action. Les descriptions sont convaincantes, hautes en couleurs, pittoresques même – mais les dialogues sonnent souvent creux et le découpage paraît artificiel (au point qu’on ait quelquefois l’impression d’un montage à l’emporte-pièce, qui aurait supprimé une bonne partie d’un roman plus imposant, plus dense, plus riche surtout). De fait, lorsqu’on en voit le bout, on se dit que le livre est soit trop long (développant inutilement son prologue et l’exposition des personnages) soit trop court (abrégeant les détails permettant les connexions avec les révélations finales, supprimant maladroitement les scènes de vie sur Canisse au profit de l’action).
Canisse a donc tendance à perdre le lecteur en route : d’abord, on n’atterrit sur la planète en question qu’après 60 pages pendant lesquelles on fait surtout connaissance avec Xhan, ex-garde-pêche méfiant souffrant d’une tumeur dont il sait l’issue fatale ; étrangement, il n’est pas toujours présenté sous son meilleur jour, et on peine à sympathiser. Il est pourtant clairement le héros du récit – à moins que… ?
Ensuite, on est sur le monde-océan. Fascinant. En alternant entre les séquences à bord du vaisseau du commanditaire de Xhan et celles dans une famille de Canissiens tiraillée à propos des relations avec les étrangers, on se laisse prendre au jeu de la découverte et de l’initiation : l’océan est piégeux, ses eaux acides mortelles – mais il recèle des trésors insoupçonnés. Pourtant, très vite, vient la chasse, qui nous propose de longues pages d’action ininterrompue – car elle se passe mal et la mort est le lot commun des pêcheurs imprudents sur Canisse ; parallèlement, on apprend quelque chose sur une étrange faculté que possède Xhan : sa venue sur la planète n’est peut-être pas un hasard… Le dernier chapitre se confondra en révélations, répondant à certaines questions, en éludant d’autres, ouvrant la porte à un univers étonnant bien que peu original – mais riche de possibilités. On en reste, du coup, sur notre faim, et ce ne sont pas les deux annexes qui nous rassasieront.
Intéressant donc, un livre qui a l’avantage d’être doté d’un beau verbe et de se lire très vite.
Citations :
p. 56, §1 :
Quand je vois les tourments qu’endurent les mâles entiers dans leur union à l’autre sexe, je réfléchis que manquer d’un pénis n’est pas sans avantage !
p. 69, §3 :
Il avait entendu dire qu’en rationnant leur souffle, les guerriers aiguisaient leur courage – et, d’ailleurs, les amants leur plaisir.