La médecine franque vue par les Arabes (XII° siècle)

Publié le 11 décembre 2009 par Misterr

Celui qui raconte cet épisode est Usama ibn Munqidh, émir de Shaizar (1095-1188). Il est une des figures les plus intéressantes de l'arabisme syrien à l'époque des Croisades. Homme d'action et de plume, chevalier et chasseur, littérateur et courtisan, politique intriguant et sans scrupule, il noua pendant sa longue vie des relations à la fois avec les Francs, les émirs de Syrie et les califes d'Egypte. Ildoit sa renommée à son autobiographie (Kitâb al I'tibâr, Livre de l'Enseignement par l'exemple).
Le seigneur de Munâitira (un Croisé) demanda par écrit à mon oncle un médecin de soigner certains de ses compagnons malades, et il lui envoya un médecin chrétien nommé Thâbit. Celui-ci fut de retour en moins de six jours et nous lui dîmes:"Tu as eu vite fait de soigner ces malades!" Voici ce qu'il nous raconta : "On me présenta un chevalier qui avait une tumeur à la jambe et une femme atteinte de consomption (amaigrissement progressif, dépérissement). Je mis un emplâtre au chevalier, la tumeur s'ouvrit et s'améliora; je prescrivis une diète à la femme pour la rafraîchir le tempérament (constitution physique). Mais voici qu'arrive un médecin franc, lequel déclara : "Cet homme ne sait pas les soigner!" et, s'adressant au chevalier, il lui demanda : " Que préfères-tu? Vivre avec une seule jambe ou mourir avec les deux?" Le patient ayant répondu qu'il aimait mieux vivre avec une seule jambe, le médecin ordonna: "amenez-moi un chevalier solide et une hache bien aiguisée." Arrivèrent le chevalier et la hache tandis que j'étais toujours présent. Le médecin plaça la jambe sur un billot de bois et dit au chevalier: "donne lui un bon coup de hache pour la couper net!"Sous mes yeux, l'homme la frappa d'un premier coup, puis ne l'ayant pas bien coupée, d'un second; la moelle de la jambe gicla et le blessé mourut à l'instant même. Examinant alors la femme, le médecin dit: "Elle a dans la tête un démon qui est amoureux d'elle. Coupez-lui les cheveux!" On les lui coupa et elle recommença à manger de leur nourriture, avec de l'ail et de la moutarde, ce qui augmenta la consomption. " "C'est donc que le diable lui est entré dans la tête, trancha le médecin, et saisissant le rasoir, il lui fit une incision en forme de croix, écarta le cerveau pour faire apparaître l'os de la tête et le frotta avec du sel... et la femme mourut sur le camp. Je me demandai alors: " Vous n'avez plus besoin de moi?" Ils me dirent que non et je m'en revins après avoir appris de leur médecine  bien des choses que précédemment j'ignorais"
  Francesco Gabrieli,  Chroniques arabes des Croisades,Usama, 97-98 , Actes SUD 1996