En 2005, d'après les chiffres qui circulent, 900 000 objets ont été mis en vente entre Noël et le Jour de l'an, soit 80 % de plus que lors d'une semaine ordinaire.
Qui n'a pas vécu ces moments de grand embarras quand, à la joie d'ouvrir un présent succède la déconvenue.
Cette tendance met en valeur un chiffre qui soulève quelques interrogations : 56 % de personnes sondées par CSA en 2005 témoignaient de ce qu'elles n'étaient pas sûres de faire plaisir à Noël.
On peut se demander si ce chiffre de 56 % a évolué dans le temps. Autrement dit, si l'on connaît moins l'autre de nos jours qu'auparavant. En l'absence de données, c'est bien tentant. Surtout si l'on voit d'un œil critique les processus d'individualisation à l'œuvre dans les sociétés occidentales, qui laissent penser qu'il y va d'un égocentrisme croissant tarissant la soif de connaissance d'autrui.
Mais si l'on échappe à cette vision négative, il est aussi possible de formuler que cette difficulté à connaître l'autre n'a pas nécessairement varié dans le temps. Et que ce qui apparaît aujourd'hui (le fait d'assumer, en les revendant, que les cadeaux sont inadaptés ou le fait que plus de la moitié avouent n'être pas sûrs de faire plaisir) vient précisément au jour parce que sont à l'œuvre des processus d'affranchissement et d'autonomisation.
Tentons une explication. Dans l'acte d'offrir, la peur pour l'offrant de ne pas faire plaisir rejoint la crainte de celui qui reçoit de se voir donner des cadeaux non adaptés à ses goûts, c'est-à-dire de ne pas être reconnu dans ses souhaits, ses attentes, ses envies. Ce constat de méconnaissance de l'autre, quand constat il y a, est d'autant plus vif que la reconnaissance, en matière relationnelle, semble être devenue, de nos jours, une condition sine qua non du maintien du lien. On paraît être plus attentif à l'absence de reconnaissance de soi dans le cadeau offert par autrui qu'à la part de l'autre - l'offrant - qu'il véhicule. Tout se passe comme si exister, c'était d'abord être reconnu. D'où cette sensibilité aux fautes de goût, vite évacuée par l'échange ou la revente, et la crainte, en contrepoint, de ne pas être sûr de faire plaisir.
LeMonde 30 décembre 2007