À Fenain, commune de 5 000 habitants du Douaisis, une quarantaine de personnes, plutôt âgées, ont foulé spontanément le pavé entre la mairie et le café Chez Paulette contre la réforme des
retraites.
Anecdotique, certes. Mais c'est un signe : hier, les manifestations de proximité ont mieux marché qu'à l'accoutumée. À l'échelle régionale, le record a été battu. Par rapport au 7 septembre, qui
avait jusqu'alors été la journée la plus mobilisatrice, on serait passé de 40 050 à 43 800 manifestants selon la police. Et de 75 000 à 97 700 selon les syndicats.
Et ce bien qu'à Lille la manifestation régionale ait, elle, été un peu moins rassembleuse que le 7 septembre : 12 500 personnes contre 19 000 selon la police. 30 000 manifestants, soit 2 000 de
moins selon les syndicats. C'est dans des villes comme Boulogne, Calais, Valenciennes ou Béthune que les cortèges ont surtout grossi. Dans le Pas-de-Calais, on est passé de 9 500 à 15 700
manifestants (chiffres police).
Mais au-delà des chiffres, la journée d'hier n'a pas tout à fait ressemblé aux autres. La sixième, tout de même, contre le projet du gouvernement. Dès le matin, quelques opérations escargot ont
eu lieu. Quelques lycées, à Hazebrouck, Lille ou Dunkerque, ont été perturbés ou partiellement bloqués.
Et ces jeunes, pas très nombreux pour le moment, ont rejoint pour partie les cortèges. À Lille, hier après-midi, étudiants et lycéens étaient 600 selon la police. Quelque 3 000 selon les
syndicats.
Pourquoi se mobiliser si tard ? « Nous sommes là depuis le début, mais nous mettons un coup d'accélérateur. À la rentrée, nous nous sommes concentrés sur les problèmes que les jeunes avaient à
régler, de logement, de bourse... Mais désormais, nous mobilisons sur les retraites. Et pour cela il faut multiplier les réunions d'information », indique Léo Voisin, responsable du syndicat
étudiant l'UNEF à Lille II. « Ce n'est pas facile de convaincre les jeunes que c'est leur affaire. Moins évident en tout cas que le CPE ou la loi sur les universités », reconnaît-il. Ce qui
explique une journée un peu balbutiante.
C'est avec beaucoup de conviction que des jeunes, défilant entre la CFDT et la FSU pour éviter tout incident, scandaient néanmoins : « Sarko, t'es foutu, la jeunesse est dans la rue. » Un
militant CFDT donnant du tambour s'en est senti regonflé : « Ça fait vraiment du bien de les voir ici. » Un argument a fait mouche : « Repousser l'âge de la retraite, c'est nous fermer un million
de postes qui ne seront pas libérés », répétaient tous les jeunes que nous avons interrogés.
Antoine, 18 ans, en terminale ES au lycée Faidherbe, à Lille, arguait, lui : « Ma mère est à mi-temps dans la grande distribution. C'est précaire, je la vois galérer tous les jours, je n'ai pas
envie de la voir galérer encore plus. » Le ministre de l'Éducation a déclaré : « Manifester, c'est dangereux, la place des lycéens est dans leur classe. » Arsène Ruhllmann, responsable national
de l'UNL, principal syndicat lycéen, lui rétorquait : « Il y a vraiment une profonde incompréhension. »
La suite ? « Des lycées vont certainement poursuivre la grève, nous pourrons décider d'actions en plus de celles des organisations. »
Lesdites organisations appellent à de nouvelles manifestations samedi. Locales. Même celle de Lille ne sera pas régionale.
Quant aux grèves reconductibles, l'intersyndicale, qui n'y appelle pas, entretient un certain flou à leur sujet : « Ça doit se décider au niveau local, des entreprises. Nous veillerons à ce que
la démocratie soit respectée, et si elle l'est, nous les soutiendrons », déclare Pascal Catto, responsable régional de la CFDT. Qui menace : « Si ça se durcit, le gouvernement devra en assumer
l'entière responsabilité. » Des appels à la grève reconductible ont été lancés à Triselec Lille, à la mairie de Grande-Synthe ou de Raismes. Dans une douzaine d'entreprises de la métallurgie, ils
ont été soumis au vote mais dans la plupart des cas ils doivent encore l'être et souvent pour des débrayages de deux heures. Comme si chacun observait l'autre et ne voulait pas se lancer seul
dans cette radicalisation. Les jours qui arrivent s'avèrent décisifs. •
Source : Voix du Nord