A vouloir trop défendre l’achèvement du marché intérieur, la Commission européenne se trouve, bien malgré elle, au centre d’une cacophonie juridico-commerciale.
Observant que les entreprises sont réticentes à vendre en dehors de leurs frontières ce qui, par ricochet, priverait les consommateurs d’accéder aux offres les plus compétitives, la Commission en conclue que la fragmentation des réglementations est une entrave au marché intérieur. Pour y remédier, une proposition de directive refond en un seul document quatre directives sur la vente à distance, le démarchage à domicile, la garantie des biens de consommation et les clauses abusives.
Face à une telle perspective de réforme, quelle politique adopter ? A première vue, la réponse pourrait être simple : l’harmonisation totale devrait être la solution privilégiée par les professionnels. Quelle entreprise souhaite réellement élargir son portefeuille de clientèle en jonglant avec 27 corps de règles différents ? Quel e-commerçant souhaite s’aventurer dans les méandres des délais de rétractation oscillant selon les pays entre 7 et 15 jours ? Autre point d’achoppement, la livraison d’un produit résulte-t-elle de la remise en mains propres de ladite commande ou du simple avis de réception déposé dans sa boite aux lettres ? Question qui n’est pas sans incidences en cas de dommage…
Si en apparence les réponses à toutes ces interrogations sont évidentes, la lecture de la proposition de directive laisse si perplexe qu’elle a réussi à affoler de concert professionnels et associations de consommateurs. Car au lieu de parvenir à une certaine forme de compromis ménageant les intérêts de tous les acteurs économiques concernés, la Commission européenne propose une harmonisation d’une telle rigidité qu’elle prive les Etats membres de toute possibilité d’adopter des dispositions en fonction des pratiques commerciales nationales. N’oublions pas que tout européens convaincus que nous sommes, nous n’avons pas nécessairement les mêmes cultures en matière de consommation !
Une harmonisation totale mais à quel prix ? Au risque de compliquer les règles les plus élémentaires en matière d’information du consommateur ou d’affecter la liberté contractuelle ? Au risque d’ajouter des contraintes ingérables, notamment pour les PME ? Il en va ainsi de la possibilité qui pourrait être donnée au consommateur de se rétracter au bout de 14 jours suivant son achat mais aussi de restituer le produit concerné 14 jours après sa rétractation : en un mot de laisser le consommateur lire sereinement le dernier best seller de James Ellroy ou de porter la dernière meilleure vente du catalogue de La Redoute … certes en cachant bien l’étiquette…
Le texte devant être prochainement examiné par nos députés européens, la bataille des amendements va pouvoir commencer. Certes il est temps de réformer, mais en vue d’aboutir à une harmonisation ciblée. On nous assure que le député européen Andreas Schwab, rapporteur sur ce texte, et la Direction Générale de la Justice et des droits fondamentaux sont bien décidés à travailler en parfaite entente de sorte d’aboutir à un texte équilibré. Il n’en reste pas moins que les orientations qui se dégagent pour l’heure sont inquiétantes puisque l’on pourrait se diriger vers une directive qui ferait la distinction entre la vente directe et la vente à distance, en imposant deux corps de règles différents, avec deux conditions générales de ventes à rédiger pour le professionnel, deux bons de commandes, deux garanties commerciales… Où est la simplicité ?
La CCIP, dans le rapport de monsieur Canlorbe adopté le 23 septembre dernier, propose une réforme équilibrée simplifiant l’application des règles relatives à la vente et à l’exécution des prestations de services au sein de l’Union.
La Commission européenne devra-t-elle revoir sa copie ? Pour ne pas faire triompher la politique du perdant-perdant, la DG justice pourrait peut-être s’inspirer d’une réflexion de Gandhi selon laquelle « Tout compromis repose sur des concessions mutuelles, mais il ne saurait y avoir de concessions mutuelles lorsqu’il s’agit de principes fondamentaux” ».