« Le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes, il est le problème ». Illustrant à merveille le bon mot de Reagan, la politique belge depuis 2007 semble en définitive se résumer à l’art de former un gouvernement et de le maintenir approximativement jusqu’à l’échéance du mandat. Risquons une explication iconoclaste : au-delà des affrontements communautaires linguistiques et territoriaux, la véritable cause de ce dysfonctionnement majeur est de nature économique.
Ce blocage persistant n’est pas l’effet du hasard. On peut l’interpréter comme une réaction auto-immunitaire inconsciente de la société face au surmenage et à l’hypertrophie de l’Etat dont l’action enraye la production de richesses. Ce sont des politiques socialistes désastreuses qui ont creusé et approfondi le gouffre économique entre – pour faire simple – les allocataires au Sud et les pourvoyeurs de fonds au Nord. Comme les francophones semblent incapables d’adopter les mesures impopulaires pour résoudre ce problème en interne, le Réel, longtemps refoulé par des discours optimistes mensongers, vient frapper à la porte sous la forme désagréable d’une flambée nationaliste au Nord. En ce sens, la crise communautaire est une réaction inflammatoire. Tout se passe comme si un mécanisme inconscient empêcherait désormais le politique de nuire davantage pour le maintenir, pour une durée indéfinie, en affaires courantes (de la même façon que la paralysie du muscle prémunit provisoirement ce dernier contre un usage qui pourrait le déchirer). L’asphyxie est une autre cause de blocage : l’insuffisance des ressources dont témoigne l’actuel dérapage du budget wallon (plus de deux fois le montant autorisé par le pacte européen de stabilité) est une réalité qui s’impose de l’extérieur pour freiner l’hyperactivité politique budgétivore. Plutôt que de déplorer le fait que le gouvernement n’est plus en mesure de s’occuper des « vrais problèmes des gens », ne faut-il pas se réjouir que cette paralysie provisoire laisse à ces derniers le soin de s’en occuper librement eux-mêmes ?
Les trois partis francophones de gauche jugent « politiquement irresponsable » la décision de Bart De Wever de rompre les négociations. Qui est le plus irresponsable ? Celui qui constate que les négociations sont bloquées ou les trois partis francophones qui, inconditionnellement attachés à la préservation – sous sa forme actuelle – du dispendieux et inefficace Etat-Providence, avancent des pistes qui creusent immanquablement le déficit budgétaire et hypothèquent l’avenir des pensions au mépris du bien-être des générations futures ?
Comme le chantait le poète Holderlin, « là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve ». S’il y a bien une certitude, c’est que Bart De Wever désire clairement la fin de la Belgique. La manière dont il cultive les passions nationalistes est particulièrement détestable. La dangerosité du personnage réside aussi dans son aptitude à agir en fonction du long terme, au-delà de la logique court-termiste et particratique des actuels négociateurs francophones. Le nationalisme flamand, dont la prolifération est un fruit vénéneux et involontaire du socialisme francophone, obéit à la même logique collectiviste destructrice que ce dernier. Cependant, Bart De Wever met sur la table une proposition qui, paradoxalement, pourrait bien, malgré lui, assurer à la Belgique, une authentique stabilité, dégonfler rapidement les passions nationalistes flamandes et débloquer bien des crispations : la régionalisation de la sécurité sociale et de l’IPP.
Régionaliser l’Etat-Providence et assurer un Etat fédéral minimal fort, voilà la seule solution de nature à préserver l’unité du pays et garantir la pérennité de l’Etat-Providence puisqu’elle obligerait les francophones à ne redistribuer que ce qu’ils gagnent (au prix, il est vrai, de douloureux sacrifices immédiats, sacrifices néanmoins préférables à une faillite à la grecque d’ici quelques années).
Ceux qui considèrent que la Belgique ainsi réformée se réduirait, selon la formule consacrée, à une « coquille vide » affirment en réalité que la politique étrangère, la sécurité, la défense, la justice, l’union économique et monétaire, la fonction publique, la politique intérieure, l’immigration, la coopération, etc. sont des matières totalement insignifiantes, purement ornementales. Evidemment, pour les partis francophones de gauche, scinder la sécu est une abomination car ils fonctionnent avec un schéma mental qui les rend apparemment incapables de comprendre à quoi pourrait bien servir un Etat où la solidarité – dont ils sont pourtant les fossoyeurs – ne serait plus nationale. A leurs yeux, l’essence même de l’Etat, c’est la redistribution. Raison pour laquelle, à tout casser, ils semblent préférer la fin de la Belgique à la régionalisation de la sécurité sociale et envisagent, le plus sérieusement du monde, un plan B. Ce qui est une manière de dire aux Flamands : seul votre argent nous intéresse.
D’un point de vue libéral, au contraire, les missions régaliennes, longtemps négligées, de l’Etat fédéral ont tout leur prix et leur dignité et un authentique « fédéralisme responsable » (qui ne se paye pas de mots) passe par un Etat providence régional. Les politiques de gauche ont graduellement détérioré les services et les structures de l’Etat. Un peu partout, la population constate à ses dépens que celles-ci se dégradent faute d’avoir été entretenues ou modernisées adéquatement depuis des décennies (justice, enseignement, police, protection civile, réseau routier, ferroviaire, bâtiments scolaires, logement social, prisons, etc.). Il aurait fallu y consacrer un faible pourcentage du budget annuel mais ces postes ont été rognés en raison de la lâcheté des pouvoirs publics face aux groupes organisés et autres corporations qui ont capté cette part du budget. En ce sens, contrairement aux partis de gauche qui sont les faux amis de l’Etat, le libéral conséquent est le véritable défenseur de l’Etat et de l’unité belge.