Eléphant

Publié le 13 octobre 2010 par Jlhuss

« Grand mammifère ongulé, herbivore vivant par bandes dans les forêts humides et chaudes ou dans la savane, remarquable par sa masse pesante, sa peau rugueuse, ses grandes oreilles plates, son nez allongé en trompe et ses défenses dont on tire l’ivoire. »  
Mon cher Robert, votre ancêtre était plus élogieux dans l’Arche. « Vivant par bandes », une bête si pacifique ! Un pas de plus et ce serait de la caillera… « Grandes oreilles plates », ces somptueux éventails de géante baudelairienne, ces voiles d’Invincible Armada !  « Nez allongé », ce bras creux frontal à tout étreindre, tout brandir, tout cueillir, tout aspirer-souffler, vraie trouvaille d’ingénieur au Grand concours de l’Evolution.  « Dont on tire l’ivoire », concluez-vous froidement : comme on tire le sucre de la canne ? Oui, mais ici il faut d’abord tirer la bête. Votre bracelet, madame, c’est de la mémoire qui flanche.
« Masse pesante », d’accord. Noé avait même cru judicieux d’équilibrer l’embarcation en logeant le mâle à la poupe, la femelle à la proue. Cette séparation  fut cause de barrissements insupportables pour les  cœurs et les oreilles. Saint homme mais fin politique, le patriarche trouva sage de ménager de préférence le chagrin des plus gros  :  nos pachydermes furent réunis au centre, en place des hyènes et chacals, bêtes à l’origine fort aimables que cette relégation rendit fielleuses comme on sait.

« Masse pesante » oui, mais si délicat, l’éléphant, à qui sait l’aimer. Regardez sur la piste cette femme presque nue, étendue béate sous l’énorme patte en suspens. N’allez pas croire qu’elle a vu la Vierge : son sourire n’est que de savoir le balourd prêt à tenter demain, pour lui plaire, le poirier sur la trompe.

Qu’un éléphant s’avance à ma rencontre en un magasin de porcelaines, priant que je le cornaque dans les allées, fier de prouver que son six tonnes est moins lourd que ma vanité, son klaxon moins détonant que le violon de ma sœur ; alors oui, je veux bien devenir le montreur de ce pachyderme philosophe, qui vit sans enthousiasme se redresser jadis l’hominidé et ne s’étonne donc guère aujourd’hui de savoir la savane en péril…

Il suffira qu’à son petit œil aiguisé je pointe tel ou tel angle délicat, qu’à son oreille je glisse mes ordres de despote éclairé  : « Limoges à droite ! Sèvres à gauche ! Saxe en face ! » ; au seul timbre de ma voix, l’animal blindé saura reconnaître si c’est le jour de préserver ou le jour de détruire.

Si c’est le jour de préserver, vous verrez la bête onduler dans les rayons avec des souplesses de sioux ; et l’assistance d’applaudir sur le sillage du monstre débonnaire, plus léger qu’une ballerine. Si c’est le jour de détruire, laissons la foule  hurler d’abord au scandale d’une avancée qui ne respecte rien. Les colères retomberont . On sait que pour frayer l’avenir, il y a parfois des grâces à piétiner.

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Tel qui mardi chicote, mercredi barrira .