Comment comprendre qu'une partie des fans de Noir Désir ait pu se désintéresser de cet album, le dernier que le groupe ait enregistré avant la tragédie bien connue vécue
par Bertrand Cantat et Marie Trintignant en juillet 2003. Les principales critiques semblent dénoncer le manque d'énergie et reprochent à ce disque son côté "trop mou du genou" et sa "lenteur"
omniprésente. Alors oui, certes, un virage musical s'installe. Les membres de Noir Désir ont peaufiné cet album dans ses moindres détails durant presque 4 ans et sont donc totalement responsables
du nouveau souffle artistique apparu sur "Des Visages Des Figures". Faut-il pour autant dénigrer cet album parce qu'il parle moins fort et que les décibels poussent moins hauts? Faut-il
considérer que Noir Désir serait en train de virer populaire en décidant de travailler avec Manu Chao ("Le Vent Nous Portera"), Léo Ferré dont Cantat reprend "Des Armes", ou Brigitte Fontaine
pour son écriture "dérangée" mais ô combien truculente sur "L'Europe"? En quoi l'utilisation d'instruments comme le sax, la guitare baryton, la trompette, le tambour marocain, ou le choix du
travail parcimonieux de samples justifierait-il un profond désaveux d'une partie de son public? Vraiment je ne le comprends pas et j'en finis même par me demander si tout ceci ne serait pas un
mal pour un bien. Sans doute n'ont-ils finalement garder pour fans que les vrais connaisseurs de Noir Désir, ceux pour qui les textes de Cantat tiennent une place au moins aussi importante que la
musique jouée par le groupe. Car il s'agit bien de cela. La musique de Noir Désir en est la forme, et ses musiciens figurent certainement parmi les meilleurs que compte la scène rock française,
mais les mots de Cantat en sont le fond, et rares sont les auteurs prétendument poètes à avoir un tel talent d'auteur (Vincent Delerme peut être). Alors tant pis d'avoir à en passer par là. Rien
à foutre de la séparation d'une partie de cet auditoire sourde au changement, trop cramponnée à son univers inflexible et intangible pour pouvoir reconnaitre le génie créatif et créateur de "Des
Visages Des Figures". Ces prétendus "fans" (sans doute plus familiers des bons gros pogos de concert que d'une bonne lecture) ne faisaient qu'entendre sans jamais écouter et il aura suffit d'un
rien pour que la désapprobation soit totale.
Il faut dire que Noir Désir n'est pas n'importe quel groupe. Plus gros vendeurs de chez Barclay (beaucoup de licenciements dans les bureaux de la maison de disques suite à l'affaire de Vilnius),
ils ont marqué l'histoire du rock en France depuis leur premier disque "Ou veux-tu qu'je r'garde?" sorti en 1987, et n'ont depuis jamais cessé de se montrer créatifs. On les connaissait bien sûr
revendicatifs et rageurs dans leur musique et dans leurs textes (une vraie marque de fabrique et une identité forte), mais ils n'avaient jusqu'ici jamais osé déroger à leur savoir faire bien
connu et très apprécié. Je dirais même que, jusqu'à "Des Visages Des Figures", les prises de risques étaient minimes et le groupe se reposait gentiment sur une singularité propre mais sans jamais
tenter de s'aventurer trop loin. Il faudra attendre 2001 pour voir ce cap franchi, et de quelle manière.
Les sons se font plus doux, plus apaisés. Même si
toujours présentes, les saturations n'ont plus la primeur et beaucoup d'éléments acoustiques interviennent. Une légère atmosphère électronisante s'insinue timidement avec délicatesse. Quelques
programmations rythmiques subtiles. Une réalisation générale plutôt détonante, c'est vrai, et un gros travail de production. La voix de Bertrand Cantat est plus posée que d'habitude et ses
explosions de gorge moins importantes que lors des précédents albums. Quelques morceaux presque fredonnés aux mélodies chaudes. Des slams incendiaires tout en retenue, et toujours cette aura qui
traîne dès que Bertrand Cantat prend la parole. Un disque au charisme impressionnant plein de diversités d'écritures et de couleurs changeantes. Les textes sont encore plus prenants du faits de
cette réalisation nouvelle et prennent une place encore plus importante que par le passé. Une réussite totale avec pour plus beau témoignage le titre "L'Europe" coécrit avec Brigitte Fontaine, un
poème fou et implacable de 24 minutes qui tourne en dérision les rouages économiques et sociaux de notre chère Europe choyée par nos puissants (un condensé d'Occident pessimiste mais tristement
réaliste) mis en musique par des éléments hétéroclites à l'expression libérée (magique et magnifique). Des tubes en puissance ("Lost" - "A l'envers à l'endroit"), des témoignages crus de l'amour
dur et déchirant, presque épidermiques ("Bouquet De Nerfs" - "L'Appartement"), un retour aux sources de 2 minutes proche du punk ("Son Style 1"), et 12 titres pour 68 minutes dont on ne décroche
pas, en écoute inégrale ici.
L'incendie n'est pas prêt de s'éteindre et devrait bientôt refaire parler de lui. A suivre...