Avec 3,5 millions de manifestants dans les rues de France, Nicolas Sarkozy aurait pu se sentir préoccuper, envisager une nouvelle prise de parole, promettre une prolongation du débat. Les appels à reconduire la grève, dans les transports notamment, ce mercredi, auraient pu le motiver à un geste d'ouverture. Sans surprise, son esprit était ailleurs, tout entier tourné vers sa propre réélection et la campagne de 2012. Il a réuni, aux frais de l'Etat, des députés et sénateurs UMP pour leur promettre une refonte de la fiscalité du patrimoine dès juin 2011. Il peaufine aussi les contours de son prochain gouvernement.
Le succès de la contestation
Pour la quatrième fois depuis septembre, les manifestants contre la réforme sarkozyenne des retraites étaient nombreux, plus nombreux que lors des précédentes journées. Même la police a dû reconnaître une « participation légèrement supérieure » à celle du 2 octobre « due à la forte présence de lycéens », pour lâcher, en fin de journée, le chiffre de 1 230 000 participants, en hausse de 20% par rapport au 2 octobre. Les jeunes étaient donc très présents. Fillon, devant quelques députés UMP à l'Assemblée, avait beau répété que la gauche était « irresponsable » de vouloir « mettre des jeunes de 15 ans dans la rue. » Trois cent (selon le ministère) à quatre cents lycées (selon l'UNL) étaient mobilisés ou bloqués. Dès 11h30, un conseiller anonyme de Nicolas Sarkozy, cité par l'AFP soulignait que la mobilisation serait « sensiblement inférieure dans l'Education nationale » que le 23 septembre dernier.
Le spectre d'une pénurie de pétrole a été agité ces derniers jours, avec notamment le blocage du port de Marseille. Mardi, ce furent 11 des 12 raffineries de métropole qui étaient en grève. France Telecom annonçait 18% de grévistes (contre 24% le 23 septembre), mais la RATP 17% (contre 16%), la SNCF 40% (contre 37%) et la Poste 17% (comme le 23 septembre). Les vols étaient annulés à 50% à Orly et à 30% à Roissy.
Dans les transports, la grève a été reconduite pour mercredi à la RATP et à la SNCF.
Quelques heures avant cette journée de protestations, les sénateurs se sont dépêchés de voter le report de l'âge de la retraite sans décote de 65 à 67 ans. L'UMP a pu compter sur le soutien d'une majorité des centristes : 174 voix pour, 159 voix contre, sur 343 sénateurs. Au préalable, le gouvernement avait fait adopter les deux amendements promis jeudi par Nicolas Sarkozy pour les mères de famille de 3 enfants nées entre 1951 et 1956 (environ 35 000 cas concernés par an pendant 5 ans) et les parents d'enfants handicapés.
Mardi soir, sur i-Télé, Eric Woerth niait avoir instrumentalisé le calendrier parlementaire, mais reconnaissait l'ampleur du mouvement.
L'échec d'Eric Besson
La réforme des retraites a fait une victime : Eric Besson. Le ministre de l'identité nationale défendait sa loi à l'Assemblée Nationale. Comme pour les retraites, le temps consacré à l'examen de cette loi annoncée comme « majeure » était on ne peut plus raccourci : une semaine depuis le 27 septembre, dont 11 heures dévolues à l'opposition.
Sarkozy pensait que l'immigration serait une distraction idéale en cette rentrée que l'on annonçait sociale. Il a perdu son pari. Les Français interrogés par sondages s'en fichent. Pire, son fidèle ministre a dû affronter une réelle fronde de certains députés UMP contre certaines dispositions de la loi directement issues des surenchères insécuritaires de l'été. Vendredi dernier, l'UMP Pierre Méhaignerie expliquait à l'Express : « On aurait pu s'éviter la mise en scène de cet été, qui selon moi porte le risque de ne pas renforcer la cohésion sociale dont notre pays a besoin.» Lionel Tardy, l'un de ses collègues UMP, a critiqué le manque d'examen des risques de censure constitutionnelle en commission des lois, faute de temps.
Eric Besson se voulait rationnel, comme à son habitude, en plaçant son projet de loi, le 5ème en 7 ans sur l'immigration, à l'abri de trois directives européennes qu'il fallait prétendument adapter dans le droit français: « le texte que nous examinons consiste, pour l’essentiel, à transposer trois directives européennes, comme le font tous nos homologues et partenaires européens, puisque cette transposition est obligatoire.» répétait-il encore à l'Assemblée jeudi dernier.
Mais, comme avec son débat identitaire et électoraliste de l'automne 2009, il s'est fait éreinter par son propre camp. Les dérapages ont été nombreux.
Dans les derniers heures du débat, le gouvernement a du concéder l'organisation d'une commission de réflexion sur le droit du sol. Des députés UMP avaient déposé un amendement remettant en cause cette automaticité. Le 29 septembre dernier, l'un des députés du collectif La Droite populaire, justifiait ainsi la démarche : « Ce qui fait la nation française, c’est le désir de lui appartenir », un argument d'une débilité assez profonde quand on pense que son promoteur voulait privilégier le droit du sang.
Attaquer ce fondement de la nationalité française était l'une des dernières attaques de la droite extrême de l'UMP. Mardi après-midi, la loi a été adoptée en première lecture par 294 voix contre 239. Trois députés UMP, dont Pierre Méhaignerie et Etienne Pinte, ont voté contre.
Mardi, on apprenait aussi que le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Jacques Mignaux, allait être auditionné par des députés après la révélation de l'existence d'un fichier sur les Roms et les gens du voyage. Interrogé à l'Assemblée, Eric Besson a précisé qu'il n'était pas au courant.
Les manoeuvres de Sarkozy
Comme si de rien n'était, Nicolas Sarkozy recevait des députés et sénateurs UMP à déjeuner pour parler ... fiscalité. Le sujet est avant-tout électoral. Que la République finance des réceptions de préparation électorale à répétition pour le futur candidat a quelque chose de choquant qui n'émeut plus grand monde en Sarkofrance. Si Sarkozy se préoccupe du bouclier fiscal, c'est parce qu'il a conscience que c'est un boulet pour sa prochaine campagne dont il lui faut se débarrasser.
Quelques députés UMP lui ont montré la voie : supprimer le bouclier ... et l'ISF, et le tour sera joué. Mardi midi, donc, le Monarque a promis une réforme de la fiscalité du patrimoine dès juin 2011. Philippe Marini, le rapporteur général (UMP) du budget au Sénat, a confirmé : « Le contenu exact de cette réforme n’est pas encore défini. Mais elle englobera les impôts fonciers, la fiscalité des revenus du patrimoine, la fiscalité sur les plus-values mobilières et immobilière. C’est tout ce bloc qui sera examiné, le président ayant souhaité que des avancées législatives puissent être faites avant 2012 ». Sarkozy a aussi prévenu qu'il ne souhaitait « pas vouloir entendre parler d’un nouvelle tranche d’imposition à 45 % » a rapporté Jean Arthuis, sénateur centriste présent au déjeuner. Et Marini d'ajouter qu'une autre piste sera de réactualiser le projet de TVA sociale, qu'à l'UMP on préfère baptiser « TVA anti-délocalisation ». Quel joli terme pour masquer une augmentation de l'un des impôts les injustes de notre fiscalité !
En coulisses - mais en coulisses seulement - il paraît qu'il pense beaucoup à la réforme des retraites et ... au prochain remaniement. Selon le toujours très informé Charles Jaigu du Figaro, le chef de Sarkofrance « brouille les pistes ». Et pourtant, un « fidèle » (Claude Guéant ?) assure : « Matignon, Élysée, UMP: le président sait maintenant ce qu'il veut faire. » Jean-Louis Borloo fait le modeste, tacle MAM sur ses prétentions gouvernementales, mais sait qu'il part favori. Jaigu relate le cas d'un ministre, on imagine Borloo, « grisé » par une confirmation de sa prochaine nomination.
Dans les rues, la France manifeste. A l'Elysée, Sarkozy pense à sa réélection. Le hiatus est total.