Magazine Culture

Bang Bang, Shoot Shoot. - Robert Coover - Ville fantôme (Seuil - 2010 Trad. Bernard Hoepffner) par François Monti

Publié le 13 octobre 2010 par Fric Frac Club
Bang Bang, Shoot Shoot. - Robert Coover - Ville fantôme (Seuil - 2010 Trad. Bernard Hoepffner) par François Monti Si vous nous aviez dit que 2010 serait l'année où la France littéraire allait remonter sur un canasson, on n'aurait pas hésité un seul instant à sortir goudron et plumes. Vu que (si vous l'aviez effectivement dit) vous auriez eu raison, il convient donc de dire que le charlatan est rarement là où et qui on croit. Mais je m'éloigne déjà de mon sujet… Donc en effet, après Warlock de Oakley Hall, La folie de l'or de Sorrentino et même Quién es de Sébastien Doubinsky, Ville fantôme de Robert Coover vient nous faire claquer des éperons pour la troisième fois de l'année, ce qui est quand même surprenant. Ajoutons à cela que David Markson est mort il y a quelques mois et qu'il avait à son nomun western bien à lui qui, comble du bonheur, avait été dévoyé par Hollywood dans une adaptation allégrement aseptisée – ce qui pourrait d'ailleurs donner le point de départ d'un autre roman sur etc. Bref, comme dirait l'autre : nous voici donc devant un revival qui doit tout au hasard et au calendrier quatrième-dimensionnel de la traduction, cet univers presque parallèle où l'heure est à une autre chronologie. Et donc le lecteur embarrassé ne s'y retrouve peut-être plus entre modernistes, proto-modernistes, faux post-modernistes, post-modernistes pur jus et Français exilés. Nous non plus. Ce n'est pas grave, nous ne parlerons que du seul Coover ici. Bang Bang, Shoot Shoot. - Robert Coover - Ville fantôme (Seuil - 2010 Trad. Bernard Hoepffner) par François Monti Nous savons qu'il y a eu un âge d'or du film de cowboy, suivi du triomphe contre-culturel de l'anti-western, lui-même dépassé sur sa gauche par le très bref interlude de l'Acid Western. Tout ça s'est plus ou moins éteint au milieu des années '70 si l'on veut bien considérer les quelques come back du style Jeremiah Johnson-lite ou même-Peckinpah-est-moins-dur-que-moi du début des années '90 ne sont que des parenthèses. Alors, Robert Coover, pourquoi le cowboy en 1998 ? Si vous êtes de longue date un compagnon de route du Fric Frac Club, vous saurez, même sans avoir lu ses livres, que Coover est un maniaque du mythe, de la légende, du conte de fée et du cinéma, lieu où les trois modalités précédentes se sont indéniablement données rendez-vous au 20e siècle. Quoi de plus logique donc que de prendre, comme il l'a fait avec le détective noir quelques années plus tard, le poor lonesome cowboy et le torturer en brin histoire de voir ce que la bête peut bien (encore) avoir dans le ventre. Le désert est poussiéreux, le soleil tape et, malheureusement, la ville n'est pas la promesse de boire un coup et de dormir une nuit dans un lit confortable avant de reprendre la piste, non, c'est la certitude de se retrouver en pleine suite étourdissante de routines slapsticks aussi cruelles que du Itchy et Scratchy. Le verre de gnole ne disparait pas tout à fait sous tes yeux, mais presque ; toute discussion, négociation, conversation, passion est ponctuée à coups de colt, de winchester '73 ou de parapluie. Les putes n'ont pas de grand cœur, il n'y a que des soulards et des pendards, la foule est lâche et lyncheuse. On pourrait croire qu'en défaisant le mythe western, Coover colle à la vision anti-western de ce monde brutes sauvages, de violence incontrôlable (et de fait, si ce n'était pour Méridien de sang et pour l'aspect indéniablement comique d'un paquet de scènes de Ville fantôme, on causerait Roman-Cowboy-le-Plus-Violent), bref à cet antithèse de l'homme solitaire dur mais juste, ne rêvant que d'un monde meilleur où les méchants ne font plus de mal et les mamans peuvent élever leurs enfants à l'abri des indiens et des soudards pendant que papa bine ses champs. Mais plus de trente ans après sa naissance, l'anti-western est à son tour devenu mythe, légende, récit générique qui compte ses figures, ses scènes (et on dirait même ses rites) obligatoires et nécessaires. Et donc, inévitablement, susceptible de se retrouver dans les griffes du démonteur-en-chef Bob Coover. Mais comment démonter le démontage sans se retrouver avec, finalement, la figure recrée, balafrée mais reconnaissable, de l'original décomposé puis recomposé ? Si l'anti avait consisté à montrer l'envers, l'envers de l'envers n'est-il pas l'endroit ? Sans en être certain, on pense que Coover a résolu le problème en optant pour l'indéfinition. Les personnages qui passent et repassent dans son livre sont des sortes de shapeshifters aux rôles définis et fixes mais dont les façons d'habiter leurs fonctions varient d'une scène à l'autre, ce qui ne contribue pas qu'un peu à la démence de l'ensemble et de notre lonesome cowboy qui ne sait plus bien qui baiser ou qui tirer, si vous me comprenez… Imaginez que vous découvriez que votre bien aimée madame de maternelle est en fait une traînée de la pire espèce avant de vous rendre compte que c'est vous la salope ou bien… On excusera le lecteur de penser que Ville fantôme est le récit d'un mauvais rêve, d'un cauchemar de cowboy qui, non seulement, ne sait plus s'il représente le Bien ou le Mal, mais en plus ne les distingue plus l'un de l'autre et, encore pire, se retrouve brinquebalé sur la montagne russe du bienmal sans comprendre de quoi il s'agit. Je m'embrouille. Bang Bang, Shoot Shoot. - Robert Coover - Ville fantôme (Seuil - 2010 Trad. Bernard Hoepffner) par François Monti (copyright : Riley Kern) Tout ça pour dire que ce n'est pas pour rien que certains critiques américains ont fait le rapprochement beckettien. La confusion permanente, le fait que, de toutes les figures du livre, la plus présente soit celle du mirage qui rend tout évanescent, tout à porté de main et puis subitement plus là, disparu, envolé, dispersé, fait de Ville fantôme le théâtre de l'absurde de son auteur. En cela, bien qu'il s'agisse sans aucun doute d'un livre qui s'inscrit dans une certaine tradition cooverienne, une sorte d'exercice de style qui compte aussi bien Spanking the maid que Briar Rose, Ville fantôme va sans aucun doute plus loin et dépasse le simple ( !?!) horizon du jeu littéraire et linguistique. On n'ira pas jusqu'à dire que c'est un des meilleurs livres de Coover (dans le style jouons-avec-les-figures-du-ciné-et-de-la-littérature, on préfère A night at the movies) surtout si l'on considère ses projets les plus ambitieux. Mais c'est sacrément bon, et c'est, comme toujours, superbement écrit (et rendu par Bernard Hoepffner qui est, depuis quelques années, le seul traducteur de Coover, ce qui lui donne, enfin, cohérence et qualité en vf). De tout ceci une conclusion : après le mythe, l'anti-mythe et l'anti(anti(anti-mythe)), il ne reste plus qu'une seule possibilité au western pour nous perturber. Sortir le cadavre miteux du Duke de la fosse où on l'a caché, le remettre sur patte grâce à quelques procédés dont la science post-humaine a le secret, buter les mites (aarff !) qui bouffent sa chemise et son foulard, lui filer ses santiags et boum : John Wayne doit remonter en selle. Montrer ce que c'est un homme. John Wayne revenu d'entre les morts pour exploser des indiens parqués dans des réserves ou occupés à gérer des casinos plutôt qu'à jouer à la roulette autour des caravanes des pionniers. Voilà le western du 21e siècle. Happiness is a warm gun. Yes it is. Bang Bang, Shoot Shoot. - Robert Coover - Ville fantôme (Seuil - 2010 Trad. Bernard Hoepffner) par François Monti

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Fric Frac Club 4760 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine