Dette publique française (CC, MaCRoEco)
Le développement durable est à la mode, mais, pour l’instant, le seul élément durable que l’on perçoive à travers le projet de budget 2011, c’est la dette publique, qui dure et s’aggrave.
Si les médias ont commenté largement le projet de loi de finances présenté le 29 septembre en Conseil des ministres, ils ont été plus discrets en ce qui concerne la véritable bombe à retardement que constitue la dette publique. L’examen du budget ne nous apprend rien d’original, hélas : hausses d’impôts qui ne veulent pas dire leur nom, diminution du nombre de fonctionnaires d’Etat que l’on retrouvera ailleurs, annulation des niches fiscales remplacées par autant de niches sociales, traque à l’épargne et au « capital ». En revanche, la crise de la dette publique mérite attention. Car, en France comme à l’étranger, elle est devant nous.
La dette va progresser en 2011, 2012, 2013…
Le projet de budget 2011 est soumis au Parlement lors de la session d’automne. Il livre des informations sur la dette publique qui tranchent singulièrement avec l’optimisme affiché dans les discours officiels. Les paroles s’en vont, les chiffres restent : la dette publique française devrait atteindre 82,9% du PIB fin 2010.
Cette prévision, tout à fait officielle, tranche avec l’insistance mise à présenter le budget 2011 comme un document sérieux, un budget de rigueur dont les déficits devraient s’effacer dès l’an prochain : théoriquement, avec un déficit moindre, l’Etat devrait emprunter moins.
Il n’en est rien, puisque, toujours selon les prévisions gouvernementales, la dette publique explosera en 2011, passant à 86,2% du PIB (4 points de PIB en plus d’endettement, voilà de la rigueur !). Mais cela continue pour 2012 : on devrait alors atteindre 87,4% du PIB. Selon le gouvernement lui-même, un léger recul de la dette ne devrait s’amorcer qu’à partir de 2013 (curieusement après les présidentielles).
Le jeu de cache-cache avec les chiffres est déjà pratiqué aujourd’hui. On nous a dit 82,9% du PIB pour l’année 2010 ? Mais on vient d’apprendre que notre dette atteignait déjà ce niveau à la fin du second trimestre 2010, six mois plus tôt que prévu. Où en serons-nous en 2011 et 2012 ? A plus long terme, la prévision de réduction du déficit, à 72 milliards en 2012, 54 en 2013 et 44 en 2014, soit respectivement 4,6%, 3% et 2% du PIB fait sourire tout le monde, à commencer par Bruxelles : cela fait des années que la France promet de passer en dessous des fameux 3% de déficit, maximum fixé par les traités européens, et des années que l’objectif est reporté aux calendes grecques, les pires qui soient !
… Mais plus encore que les chiffres officiels le suggèrent
Les chiffres officiels de l’évolution de la dette ne sont pas seulement minorés ; ils sont irréalistes. Tout d’abord ils reposent sur une hypothèse de croissance économique de 2%. Est-ce bien réaliste, quand cette année on est bien en dessous (au mieux 1,5%) ? Or c’est à partir de cette hypothèse de croissance que sont calculées les rentrées fiscales, donc le déficit 2011 (et l’emprunt qu’il implique). Ensuite, qui peut croire que le déficit va passer de 152 milliards en 2010 à 92 l’an prochain, alors qu’aucune baisse sérieuse des dépenses publiques n’est envisagée, sinon le « rabotage des niches » qui ne produira pas d’effet l’an prochain et qui est d’un montant comparativement modeste ?
Enfin et surtout, les prévisions ne tiennent pas compte de la progression des impôts (en dépit des promesses présidentielles). Elle est très consistante (du rabotage des niches fiscales à l’augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu) de sorte que les prélèvements obligatoires vont augmenter l’an prochain d’un point de PIB, ce qui est énorme, passant de 41,9% à 42,9% ; selon les prévisions gouvernementales cette hausse se poursuivra les années suivantes (43,9% en 2014). Qui peut croire que la croissance va redémarrer, avec une hausse des prélèvements, alors que toute l’analyse économique (courbe de Laffer en tête) montre le contraire ?
Encore faut-il ajouter à cette stagnation économique et à la débâcle des finances publiques la faillite de la Sécurité sociale. On annonce (au mieux) 21,4 milliards de déficit en 2010 qui deviendront 28,6 si la tendance actuelle se poursuit, et il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement, car la réforme des retraites ou de l’assurance maladie n’arrangera rien, bien au contraire. La « dette sociale » s’ajoute à la dette publique.
La charge de la dette, premier poste du budget ; faut-il s’inquiéter ?
Le service de la dette publique est une charge de plus en plus lourde. Naguère deuxième poste du budget, après l’Education Nationale et avant la défense, il a pris la première place cette année. Le paiement des intérêts de la dette deviendra en 2011 le premier poste du budget : 46,9 milliards, contre 44,5 pour l’Education nationale (et 30,1 pour la défense). Avant même de songer à la moindre dépense publique, il faut déjà réserver 46,9 milliards pour payer les intérêts de la dette ! Et encore sommes-nous dans une période de très faibles taux d’intérêt. C’est d’ailleurs ce qui explique l’optimisme affiché par les gouvernements : on peut emprunter à bon compte pour honorer les dettes accumulées, intérêt et principal, foi d’animal.
Les Français comprennent-ils l’enjeu de cette charge ? Leur parler d’une dette publique qui a dépassé les 1600 milliards, c’est trop abstrait. Mais on peut leur dire qu’elle représente plus de 25 000 euros par personne, soit plus de 100 000 euros pour la famille française moyenne, à rembourser dans les vingt ou trente années qui viennent. Dire que la dette absorbe une part croissante de l’épargne est abstrait ; mais expliquer que plus l’Etat emprunte, moins les entreprises ont d’argent pour investir et créer des emplois est concret. Dire que le budget est financé à crédit est abstrait ; mais dire que nous faisons payer à nos enfants nos folles dépenses de fonctionnement d’aujourd’hui, nos salaires de fonctionnaires et nos prestations d’assurance-maladie est concret et chacun comprend que c’est immoral : nous volons nos enfants et tout ça pour leur léguer une économie en perdition.
Les dettes « souveraines »
On peut toujours calmer ou distraire le public en parlant de dettes « souveraines ». La dette d’un particulier ou d’une entreprise peut inquiéter, surtout quand on a la crainte qu’elle ne soit pas remboursée. Rien de tel avec la dette de l’Etat, car elle est « souveraine ». On n’hésite pas devant l’oxymoron : être souverain, c’est ne dépendre de personne, être débiteur c’est se mettre sous la dépendance d’un autre. Que peut bien être un débiteur souverain ?
En fait, on veut signifier que ce qui est à l’origine de la dette est l’accomplissement d’une noble tâche, l’intérêt général, alors qu’une dette privée ne prend en compte qu’un intérêt privé. On veut aussi signifier que le souverain n’a cure de ses créanciers alors que le débiteur privé doit s’en soucier et s’exécuter.
Voilà sans doute pourquoi la dette publique continue à progresser, voilà pourquoi les dettes souveraines de la Grèce, puis de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande, et maintenant de certains pays d’Europe Centrale. A titre d’exemple les Irlandais font passer cette année leur déficit public à 32% de leur PIB ; il dépasse ainsi les 50% du budget ! Qui va prêter et à quel taux à un pays dont le déficit public atteint le tiers de la production nationale ? Dans ce pays on aura essayé de sauver les banques (au prix de 11 000 euros par Irlandais) et on aura tué l’économie. Il faut dire que l’exemple vient d’en haut : avec le financement du stimulus, Obama a fait voter un budget dans lequel les recettes ne couvrent que la moitié des dépenses !
Mais n’y a-t-il pas des limites à la « souveraineté » ? L’Europe s’expose à une crise de confiance qui pourrait lui coûter cher. Les agences de notation ne se laissent pas prendre aux discours officiels (une rigueur sans précédent, une « rupture historique » dit F. Baroin). Les taux d’intérêt ne cesseront de monter, et la pratique de la cavalerie sera de plus en plus coûteuse. Angleterre et Islande ont pu éponger une partie de leur dette en volant les créanciers porteurs de livres ou de couronnes, mais les pays de l’Euroland ne peuvent dévaluer. La maladie des autres n’est pas plus rassurante pour nous, la dette souveraine française est un morceau bien plus gros encore à avaler pour les marchés financiers.
Pour éviter l’explosion de l’euro, la seule possibilité des pays comme la France est de s’aligner sur les Allemands ou les Suédois qui ont su, avec courage, éviter la dérive des déficits et l’explosion de la dette : manifestement, ils s’en portent mieux que nous.
L’acharnement de nos gouvernants à ne rien vouloir changer en profondeur, à défendre à tout prix l’Etat providence et les dépenses publiques, à privilégier le court terme et pour tout dire à refuser les réformes, est suicidaire. Cela conduit à l’endettement durable, et c’est la ruine assurée pour tous. Le budget 2011 ne fait que poursuivre dans cette voie sans issue.