Porté par les hipsters du monde entier depuis plusieurs années, les tee-shirts à large échancrure ont fait leur retour. On les a vu dans des défilés, sur les marches de Cannes, dans nos rues… Qu’en pensez ?
Retour à l’ancienne mode, poussée de l’androgynie, récupération marketing ou, comme pour le maquillage, les hommes ont fait un pas vers un domaine jusque là réservé aux femmes. La fente de décolletés parfois plongeants qui révèle des poitrails, des muscles pectoraux, peut-être plus, est de retour : chemises largement ouvertes, tee-shirts col rond échancrés ou col V très profond, deep V. Les anglo-saxons ont trouvé un mot pour désigner cette tendance : le heavage, déclinaison masculine du « cleavage » ( décolleté ) féminin.
Les nostalgiques de Travolta dans Saturday Night Fever vont se réjouir puisque le décolleté masculin / pour homme fait et a fait son grand retour. Jusque récemment, le décolleté masculin était une mode androgyne, mais les décolletés en V profonds ont frappé les Etats-Unis en force en septembre pendant la Semaine de La Mode à New York. Duckie Brown, Michael Bastian et Ygal Azrouël ont entre autres remis au goût du jour la chemise, le tee-shirt, le pull col V ouvert sur les torses masculin.
Le designer de New York M. Bastian a dit que l'atmosphère de son salon lui a été inspiré en partie par « des types latins » dont il a remarqué le port de leurs chemises déboutonnées, aussi bien que le machisme nullement intimidé latino-américains en général.
Vik Mohindra, un étudiant de troisième cycle de 27 ans de Toronto, avoue que ses amis le taquinent parfois à propos de son décolleté : « Je ne le recommanderais pas à quelqu'un qui n'est pas confiant avec son corps et qui n’assume pas complètement son style ».
Le décolleté masculin, particulièrement au cinéma, a longtemps joué un rôle de vecteur dans la culture populaire, pour affirmer une certaine virilité. Douglas Fairbanks avait exposé son buste pendant les années 1920 dans des films comme « le Voleur de Bagdad » (1924) et « le Masque de Fer » (1929). Errol Flynn fringant a montré son décolleté dans les années 1930, le plus mémorablement dans « les Aventures de Robin des Bois » (1938). Ils ont mis en exergue le coté « je montre mon torse à la vue de tous » pour des rôles qualifiés de fanfarons.
La dernière résurrection du décolleté soulève la question insignifiante : épiler ou non ? Pendant un certain nombre d'années, on a considéré que n'importe quels poils thoraciques n’étaient tendance mais très récemment « un chaume mince » est devenu tout à fait acceptable. L'apparence d’un décolleté « est meilleur si vous avez une légère pilosité » dixit le Garde de la loge maçonnique Thoreson, un Nouveau consultant de style York. Il ne s’agit pas non plus d’avoir forcement une forêt. Ce qu’il faut c’est une juste adéquation entre poil et peau. Et n’importe quel décolleté ne fait pas l’affaire, il faut s’y sentir à l’aise et assumer, avoir confiance en soi.
Mickael Bastian dit que le décolleté revient parce que des modèles masculins branchés sont partis de brindilles malingre aux hommes balourds, grumeleux, virils avec des formes. Mais aussi, comme nous avons noté à plusieurs reprises, les designers sont amoureux de l'idée des vêtements qui ne sont pas en réalité des vêtements. Les salons et autres défilés de mode ont été remplies de modèles portant des slips au lieu des pantalons, des soutiens-gorge au lieu des chemises et des décolleté, tout simplement une extension progressive d’une voie vers un monde dans lequel un mode de vie nudiste est la norme.
Le corps devient donc un véritable enjeu d’entretien de soi. Il est fondamental dans la présentation de soi, dans la référence à la plastique et dans le sens de l’identité plastique. A la fois dans l’intégration et la différenciation, mais aussi dans le sens de la singularité. On notera aussi que, chez les jeunes générations masculines, le port des vêtements près du torse – qu’il s’agisse du tee-shirt V, de polo, de gilet à zippé – renforce le recours à la musculation pour être bien dans sa peau et dans ses vêtements, et répondre ainsi aux normes de la beauté. Les différences, qui s’estompent entre les hommes et les femmes en référence à l’égalité et à la parité, se déplacent de la scène socioculturelle, traditionnelle, pour se concentrer sur ce que j’appelle la « plastique identitaire ». La mise en forme, la mise en scène du corps, avec des vêtements proches d’une seconde peau ou soucieux du bien-être multipostures et multifonctions apparaissent aujourd’hui fondamentales. Le corps se montre d’autant plus nu ou derrière un vêtement – que je qualifie de « revêtement » (intégré ou contestataire, normé ou créatif) – qu’il signifie d’emblée la différence dans le sens du masculin ou du féminin, ou du mélange et de la confusion volontaire des genres. On peut aussi interprété dans ce même sens le rapport à la pilosité, qui rend compte et témoigne pour ces raisons de rapports à soi et aux autres très complexes.
Article rédigé par Kevin Fortin