Nous y sommes, le peuple est dans la rue. C’est ainsi que fonctionne la démocratie en France et nulle part ailleurs.
Qu’on élise régulièrement et sans fraude des représentants ne va pas à ceux qui se sentent dépossédés du « droit » de brailler pour leurs zacquis et de réclamer « toujours plus ». Qu’on débatte des nécessités et des moyens d’y faire face ne va pas à ceux qui se sentent trop peu éduqués pour comprendre et négocier. Qu’on mette sur la table la question de la retraite, qui cotise et combien, qui a droit et pourquoi, ne va pas aux démagogues qui n’ont rien fait pour adapter la France au monde qui concurrence et à la population qui vieillit.
Le gouvernement a été maladroit pour expliquer, ce n’est pas nouveau. Il y a trop de hauts fonctionnaires qui agissent comme des experts froids parce qu’ils ont été formatés par la sélection Éducation nationale aux mathématiques seulement. Trop d’énarques qui n’ont jamais eu de cours de pédagogie sociale ni de formation à la négociation parce que l’État méprise tout ce qui n’est pas autorité. Il n’y a qu’à observer la bataille pour les gyrophares dans les ministères… Mais ce n’est pas parce qu’il y a des indigents relationnels à la tête que les problèmes n’existent pas.
La question demeure du financement d’ayant droits toujours plus nombreux par de moins en moins d’actifs. Le système par répartition n’est juste que s’il ajuste à chaque génération ses prestations distribuées aux cotisations reçues – ou si la génération qui suit fait plus d’enfants que la précédente. Les jeunes payent toujours pour les vieux et, certes, cela crée une solidarité généreuse, mais à condition que les fins de carrière n’abusent pas du droit de tirage sur l’avenir. Or c’est bien ce qui se passe : ceux qui n’ont cotisé que 37 ans (bientôt 41) vont toucher une retraite le reste de leur vie durant, que je souhaite longue et bonne. Mais avec les progrès de l’hygiène, de la santé et du maillage social, ils ont encore, à 60 ans, près de trente ans de pension. Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui vont régler leurs fins de mois alors qu’eux-mêmes entrent plus tard dans la vie active (de stages en CDD jusque vers 28-30 ans) et reculent l’âge d’avoir leurs propres enfants. De plus en plus d’ayant droits et de moins en moins d’actifs… cela me rappelle la blague d’un humoriste : quand on abaisse les plafonds et qu’on relève les seuils, on est coincé !
Tout le monde devrait au moins s’accorder sur le problème, or il n’en est rien.
• Que l’extrême gauche beugle à tout va que c’est tout le système qu’il faut foutre en l’air, on peut le comprendre, mais l’extrême gauche ne réalise que moins de 10% des votants à chaque élection. Laissons-la à ses jeux politiciens. Jamais une commune ouvrière, un phalanstère industriel ou une communauté post-68 n’a duré assez longtemps pour faire école. Le type d’organisation en soviets reste une utopie, on sait bien comment il a été à chaque fois récupéré par des tyrans cyniques, de Robespierre à Lénine et Castro. Un pays de 63 millions d’habitants ne se gère pas comme un quartier, une usine ou un squat.
• Que la gauche socialiste ait reconnu qu’il y a question, mais qu’elle n’admette pas le relèvement d’âge est plus surprenant. Gageons que c’est par pure opposition, juste parce que c’est Nicolas Sarkozy qui le propose. Il serait le « Président des riches », ami des Bettencourt et protecteur de son ministre Woerth compromis, donc illégitime. Au pouvoir, que croyez-vous que feront les socialistes ? Iront-ils jusqu’au système à points que la Suède a mis plus de dix ans à négocier et à appliquer progressivement ? Ou nommeront-ils « une commission » pour se dédouaner, tout en résolvant l’urgence : comment alléger TOUT DE SUITE le financement d’État qui comble le déficit entre cotisants et ayant droits chaque année ?
Je trouve personnellement que le système à points qui permet une retraite à la carte est une très bonne idée. Thomas Piketty, proche du PS, en a fait la proposition et je l’approuve. Mais l’application d’un tel système demande beaucoup de temps et le problème du financement se pose dès aujourd’hui. Les Suédois l’ont réalisé dans les années de croissance, mais ni Chirac, ni Jospin, se sont bien gardés de le faire. Dans les années de crise et d’anémie d’emplois qui sont là et vont durer, ce ne peut être qu’une réforme à long terme. Oui, je sais, « yaka » faire payer les riches, les entreprises, les expatriés, les banques, les Chinois. Eh bien, essayez donc : la globalisation a rendu le monde libre de circuler et l’attractivité pour les entreprises et les détenteurs de crédit étrangers ne sont pas que des loups de contes. Les franchouillards du yaka se croient-ils encore en 36, où il suffisait de fermer les frontières ?
Car la France, depuis une génération, vit au-dessus de ses moyens. Tout antilibéral farouche se gausse des Américains qui achètent tout à crédit, poussés par le système marketing. Mais que fait-il lui-même ? Il se revendique écolo, rationnel et partageux, mais c’est bien l’État qui le paye ou lui redistribue des prestations sociales. Or l’État depuis 35 ans vit à crédit : il n’a JAMAIS eu un budget en excédent, encore moins celui de la Sécurité sociale. Si des impôts rentrent, on crie aussitôt à la « cagnotte » et on exige la redistribution sociale immédiate, comme ce fut le cas sous Jospin. Ce pourquoi il a été honteusement battu. Car les arrosés n’ont aucune reconnaissance d’un « droit » qu’ils considèrent comme un dû, et les autres vouent une haine viscérale aux dépensiers incapables de prévoir l’avenir.
Savent-ils, les fonctionnaires, que ce sont les marchés financiers qui payent leurs salaires de novembre et décembre chaque année ? Savent-ils, les retraités qui se croient sauvés parce qu’ils ont liquidé leurs droits, que ce sont les marchés financiers qui règlent 10% de leur pension ? Oui, je sais, « yaka » les nationaliser… sauf qu’ils sont internationaux, les marchés. A part saisir de force l’épargne des Français par un emprunt obligatoire, je ne vois pas comment poursuivre la gabegie sans un plan de réduction de la dette publique. Pour cela : produire plus, dépenser moins et mieux, repenser la fiscalité. Mais tout cela ne se fait pas en trois mois, surtout avec des crispés qui ne veulent rien savoir de tout changement !
Si jamais la grève d’aujourd’hui s’étend, en syndrome 1995, que feront les marchés financiers à votre avis ? Maintiendront-ils les taux de prêts à la France aussi bas que maintenant ou les monteront-ils au niveau de la Grèce ou de l’Irlande ? Les agences de notation mondiales (dont Fitch, une française) garderont-elles la note triple A qui est celle du meilleur crédit ? Que nenni ! Et si les taux montent, la dette va monter encore. N’importe quel gouvernement français sera alors forcé de faire ce que fait n’importe quel gouvernement au monde, qu’il soit de gauche ou de droite : couper dans les dépenses, geler les embauches et baisser le salaire des fonctionnaires en poste, supprimer le comblement du déficit des retraites par l’État - et augmenter les impôts pour tout le monde.
Nicolas Sarkozy, déjà, s’en lèche les babines : si la grève s’étend, la chienlit va ressouder la droite autour de lui, le décideur. Et cette fois, les mesures les plus impopulaires pourront passer parce que le pays y sera acculé, sans avoir le temps de retrouver de la croissance pour passer le cap. Là, il y aura peut-être des manifs pour quelque chose ! Mais ce sera trop tard, comme en Grèce…