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Le modèle religieux américain sera-t-il le nôtre ?

Publié le 03 janvier 2008 par Argoul

Le rêve du Président Sarkozy est-il de décoincer la vieille France par la neuve Amérique ? Il semble aller pour cela chercher outre-Atlantique nombre de modèles de comportements. Ainsi des rapports de la société avec la religion. La société plus que l’Etat, bien que les Français révèrent l’Etat ; la société parce que c’est justement de son indigence que viennent la plupart des maux français. Reconstituer ces ‘corps intermédiaires’ que la République niveleuse a éradiqué par jacobinisme militant est une œuvre de salubrité publique. Cela mettra du temps mais peut-être est-ce le sens qu’il faut trouver à cette initiative du néo-Président.

Un court opus d’Isabelle Richet a fait en 2001 le point sur « La religion aux Etats-Unis » (PUF, Que sais-je ?). Il est intéressant d’aller voir là-bas pour mieux comprendre ici-même. Et le parallèle est assez parlant :

· La conquête des colonies américaines a été religieusement pluraliste (calvinistes, puritains, quakers, juifs, catholiques, animistes). - La France n’est désormais plus homogène.

· Le réveil religieux, dès 1730, s’est effectué en raison de la diversité ethnique, sociale et culturelle croissante des états. – La poussée de l’Islam en France dès la fin des années 1970 a entraîné un réveil du religieux juif, puis catholique, désormais affiché et revendiqué.

· La conquête de l’Ouest a acquis une dimension religieuse : inventer un nouveau pays moral. – La reconquête des valeurs du travail et de l’effort, confuses dans la société et enfourchées par le Président, ont probablement le même ressort.

· La fracture de la religion dominante, protestante, s’effectue en 1845 sur l’esclavage, marquant deux conceptions évangéliques : libérale et conservatrice. La seconde donnera le fondamentalisme anti-moderne dont les néos-Cons, hostiles à la contre-culture des années 1960, sont les derniers avatars. – Y aurait-il en France, en germe ou sous-jacent, un tel partage entre modernité et traditionalisme dans la religion majoritaire, catholique ? Il n’est pas impossible de le penser ; le prosélytisme de Nicolas Sarkozy aurait ainsi pour objectif d’aider le courant libéral de l’Eglise de France (et le courant modéré de l’Islam) à émerger.

Le baby boom américain, la guerre froide, la mobilité sociale en hausse, les migrations géographiques des travailleurs vers les banlieues et des retraités vers les états du sud, ont fait que les églises sont devenues aux Etats-Unis les seules communautés permanentes. Plus même que les familles, souvent recomposées. Le melting-pot catholique (Irlandais, Italiens, Polonais, Canadiens français, Latinos, Caraïbes, Philippins, Vietnamiens…) est de même la seule communauté de rencontre des non-protestants ; il est vivant, tout comme le Pentecôtisme, grâce au Mouvement charismatique ; il rapproche la culture catholique de la protestante en raison de son accès direct à l’Esprit Saint, sans intermédiaires cléricaux. Le judaïsme est plutôt réformiste, en accord avec la pratique d’une communauté aisée. L’islam est devenu la 3ème religion des Etats-Unis grâce à l’immigration originaire du Moyen-Orient avec plus de 4 millions de fidèles (dont 1 million de Noirs). Cette vivacité religieuse, cette cohabitation des communautés, cet individualisme de la foi (le rapport direct de la personne à Dieu) est un modèle de mœurs qui tente Nicolas Sarkozy. Il voudrait l’acclimater en France où, au contraire, le pesant conservatisme, la guerre civile permanente du modèle jacobin hérité des guerres de religion des rois, et le collectivisme militant des partis rendent la société peu tolérante et lourde à changer : on l’a vu sur l’avortement, on le voit sur les homosexuels, on l’observe dans les débats « politiques ».

Là où la France diffère des Etats-Unis est cependant que les croyants américains sont des activistes de leur foi : ils participent activement à la construction de leur église - en même temps qu’à la gestion de leur commune. L’individualisme chrétien rejoint l’individualisme républicain des Lumières : il s’agit de devenir un self-made saint. Le péché originel est rachetable par sa propre conduite. Le succès dans ses affaires est signe de la grâce de Dieu. A culture consumériste, religion thérapeutique : la foi est une psychologie, la pratique un accomplissement de soi (scientologie, new age, néo-évangélisme, ‘bouddhisme’ américanisé). La communauté dans l’église prône une morale de pureté ; elle a pour mission de contrôler la société impure. Si la Constitution est laïque, la nation est chrétienne et la séparation administrative n’inhibe nullement le dialogue pour faire les lois. La geste nationale est d’ailleurs « providentielle » : la découverte de l’Amérique a coïncidé avec la Réforme et incité les Pères pèlerins à devenir Pères fondateurs d’une « nouvelle Jérusalem », ici bas et tout de suite, pas dans un « autre monde » possible. La conquête de l’Ouest EST l’avènement du Royaume. La guerre froide mobilisera de même la religion contre le communisme et, plus près encore, les attentats du 11-Septembre mobiliseront les chrétiens républicains contre les islamistes fous de Dieu.

La religion – quelle qu’elle soit – offre donc des repères dans une société de plus en plus complexe, de plus en plus orientée vers le rapide, l’utile et le pratique, de plus en plus irriguée de ‘communication’, au risque du narcissisme et du virtuel. Elle redonne aux Etats-Unis consuméristes du sens à la vie et à l’activité des communautés. Elle incite à agir, à se réunir et à réussir. En dehors même de la foi, qui reste personnelle, la religion a une utilité pratique : la socialisation, l’élaboration d’une norme de comportement et un message sur les fins dernières. Un pays tourné vers l’avenir ne saurait s’en passer. Faut-il voir dans tout cela un « modèle » pour Nicolas Sarkozy ?

Nous chercherons à penser plus loin dans les quelques notes suivantes. Outre la question d’aujourd’hui, nous nous interrogerons sur ce qu’est “la laïcité”, sur la religion comme foi et la religion comme tradition, enfin quelle est notre histoire culturelle venue de la religion.


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