La scène se passe le 18 novembre 2009, à la fin d’un match haletant face à l’Irlande, qui va ouvrir les portes de la Coupe du monde à l’équipe de France. Le staff bleu se tient par les épaules, entre derniers frissons et euphorie.
Soudain, en bas de la tribune officielle, un homme tente d’entrer sur la pelouse.
Haute stature, cheveux blancs, l’affabilité habituelle a laissé place à la frustration face au stadier qui barre le passage.
Il faut l’intervention d’un membre du staff pour que l’intéressé pénètre sur la pelouse.
Le match s’achève.
Et Jean-Pierre Doly vient au plus près de son ami Raymond Domenech.
De vrais inséparables.
Jean-Pierre Doly, le "coach" de Raymond Domenech, et Patrick Viera, le 16 juin 2008 à Chatel-Saint-Denis © FRANCK FIFE / AFP
Quelques mois plus tard, on retrouvera le même Doly (62 ans) en Afrique du Sud.
Il a sa chambre au Pezula Resort de Knysna. Et une accréditation Fifa autour du cou, sans figurer dans les plaquettes officielles de la Fédération française de football (FFF).
Il est un directeur des ressources humaines de la "PME équipe de France".
Il aura accompagné la préparation de Domenech tout au long du printemps, comme avant les phases finales de 2006 et 2008.
Il a animé les séminaires de staff. Puis le stage avec les joueurs, de Tignes à l’Afrique du Sud.
Celui qui se présente comme un "accordeur de talents" sur le site Internet de sa société, Doly & Partners, n’est jamais à court d’idées.
Il est d’ailleurs payé pour ça: 1.600 euros par jour, son tarif habituel.
A moins qu’il n’ait décidé cette fois de forfaitiser ses services.
"Morts-vivants" et "géranium"
Il met l’accent sur la communication interne : savoir se parler, éviter rumeurs et non-dits.
Son fonds de commerce.
Pas de surprise pour ceux qui l’ont croisé depuis cinq ans.
Pour le team building, qui consiste à forger l’esprit d’équipe, il organise une sortie en buggy.
Ça secoue, on rigole bien. Rien de très original, mais pas inintéressant, selon des témoins.
Un an plus tard, bis repetita.
En mars 2010, un séminaire consacré au programme des Bleus est organisé à Lyon.
Mi avril, le déplacement est moins long, mais le cadre très agréable.
Le staff est cette fois réuni au Châteauform’ de Rochefort-en- Yvelines, un établissement spécialisé dans l’organisation de séminaires… à 7 kilomètres de Clairefontaine, la résidence de l’équipe de France.
Le déplacement est court, mais il a un prix.
Grincements de dents à la FFF, qui cède pourtant.
Au programme : "Communication régressive", le classique.
Ou comment deux groupes échangent sur les raisons pouvant pousser l’équipe de France à l’échec ou à la victoire.
Le staff joue le jeu. A-t-il le choix ?
Dans le même temps, rien sur le jeu déliquescent ou l’absence de tactique, pointés du doigt plus tôt par Anelka; ni sur les ego des joueurs, qui prennent le pas sur le collectif.
Domenech est en train de perdre toute autorité, sauf sur son staff technique.
Ses adjoints, Bruno Martini et Pierre Mankowski, sont déjà heureux d’être là depuis six ans.
Leur surnom à la DTN ? "Les morts-vivants", référence à leur soumission totale à Domenech.
Alain Boghossian, censé apporter sa différence après l’Euro 2008, est aussi rentré dans le rang.
"C’était ça ou partir. J’ai essayé de faire ce que je pouvais de l’intérieur", nous confiait-il off après la Coupe du monde.
On lui avait suggéré le terme de secte. Son silence valait sans doute approbation.
Laurent Blanc, qui l’a appelé à ses côtés, aime le chambrer sur sa période avec Domenech.
En l’appelant "le géranium".
Le sélectionneur de l'équipe de France, Raymond Domenech, lors de la lecture devant la presse du communiqué des joueurs réclamant le retour de Nicolas Anelka chez les Bleus, le 20 juin 2010 à Knysna (Afrique du sud) F.MORI/SIPA
Le staff sur un radeau
La Coupe du monde approche.
Le duo Domenech-Doly met le paquet sur le team building.
Cette fois, deux groupes rivalisent d’ingéniosité pour, à l’aide de palettes, planches, bidons, clous, etc., construire un radeau.
Belle métaphore de ce qui va suivre.
Une fois le rafiot construit, il s’agit de ramasser les plots disposés dans un bassin.
Seuls deux membres du staff ne jouent pas de la scie et du marteau.
Jean- Pierre anime, Raymond observe.
Ces deux-là n’arrivent pas à se quitter.
Le courant passe immédiatement.
Désireux d’innover, Domenech puise déjà des idées dans le monde de l’entreprise.
C’est avec Doly qu’il a mis au point son projet "Gagner la Coupe du monde 2006", qui lui vaut d’être nommé au poste de sélectionneur.
Et il s’en faut d’un rien qu’il ne gagne aussi la Coupe du monde.
Avec l’aide de son ami, il avait repensé l’organisation du staff.
Lancé les débriefings d’après-match, un bide.
Mais aussi initié l’idée de l’ascension du glacier de Tignes. Un vrai succès.
Quatre ans plus tard, les choses se présentent moins bien.
Domenech a donné une liste de 30 sélectionnés, quand le président de la FFF en attendait 23.
Lui qui se veut plénipotentiaire cède finalement aux arguments d’Henry et le retient dans son groupe.
Tout le monde se retrouve à Tignes pour le premier stage de préparation.
Sont invités l’athlète Stéphane Diagana et le sélectionneur de l’équipe de France de handball, Claude Onesta, venus faire partager leur culture de la gagne.
Les joueurs apprécient. Mais plusieurs pestent : ils auraient préféré un contact plus direct avec leurs visiteurs.
"C’est qui, ce bouffon de Mentalist ?", demande un cador, en désignant Doly, qui joue M. Loyal en entravant la relation spontanée.
Bambaras et Peuls s’invitent chez les Bleus
Il sera vite au parfum.
En milieu de stage, après le dîner, les joueurs sont convoqués en salle de réunion.
Elle est décorée de papiers au mur, chacun marqué d’une maxime évoquant le développement de soi et les clés de la réussite.
Thème de l’exposé de Doly: l’Afrique, berceau de l’humanité.
Cartes et graphiques à l’appui, il évoque les migrations des Bambaras et des Peuls.
Des joueurs s’accrochent un quart d’heure.
Les autres rêvent d’un massage, d’envoyer un e-mail, passer un coup de fil à la famille.
On approche du premier match de préparation.
Imperturbables, les Wolof continuent leur route vers l’ouest…
Photo Charles Platiau/Reuters
Les Bleus vont apprendre à aimer l’histoire et la géographie.
Avant d’affronter la Chine, Doly remet un polycopié recto-verso en couleurs aux joueurs et au staff.
Un condensé de Wikipédia sur le pays.
Ce sera la même chose pour l’Uruguay, le Mexique et l’Afrique du Sud.
Ce n’est pas fini. Ce jour-là, à partir de 23 h, un média-training suit la conférence.
Aux commandes, Doly et Jean-Louis Morin, ancien journaliste de RMC – actuel "conseiller occulte" du président de la FFF, Fernand Duchaussoy.
Ce jour-là, son intervention sera facturée "1.000 euros", explique- t-il.
Face caméra, les joueurs doivent répondre à quatre questions, trois sur l’Afrique, une sur le football.
Devant le nom de Mandela, une star des Bleus sèche.
Il est près de 1 h du mat’ et la colère commence à poindre.
Il s’inquiète que la séquence puisse être conservée au montage. Elle ne le sera pas.
Les 23 n’auront aucun retour individuel.
Ils ont l’impression d’avoir perdu leur temps.
Il avait pourtant été expressément demandé à Doly de ne plus approcher les joueurs.
C’était après le fiasco de l’Euro 2008, juste avant que Domenech n’enfume le conseil fédéral avec ses promesses de changement.
Jean-Pierre Escalettes n’aimant pas trancher, il a tacitement reconduit le contrat de Doly, tout en lui intimant de se tenir à l’écart.
A l’évidence, les instructions n’ont pas été respectées malgré les injonctions répétées du président de la FFF, fait savoir le directeur général, Jacques Lambert, a posteriori.
Il songe sans doute au beau costume avec le coq arboré par Doly en Afrique du Sud et ailleurs.
"23 hommes en colère": le slogan qui tue
Deux ans après un Euro 2008 désastreux, la Coupe du monde se présente mal.
Les joueurs le sentent.
L’unité fragile entraperçue à Tignes s’est fissurée en deux secondes dans le vestiaire de Lens, quand Gallas, jusqu’alors vice-capitaine, aperçoit le brassard au bras du maillot d’Evra.
Les joueurs demandaient du dialogue.
Ils n’en ont pas eu, même pour une décision aussi forte.
Leur victoire en trompe l’oeil face au Costa Rica sera suivie d’un nul en Tunisie et d’une défaite infamante face à la Chine.
Le staff lui-même commence à pressentir l’échec.
En Tunisie, Doly devient le GO le mieux payé de France: il se taille un franc succès auprès des enfants et des femmes de la délégation.
A La Réunion, il rend service.
On le voit ramasser les ballons pendant l’entraînement.
Sur le terrain, le jeu s’effiloche. Les ego s’affrontent.
Pris dans sa logique destructrice, le couple infernal avait pourtant trouvé le slogan ultime.
Un gimmick visionnaire, lancé à Tignes et qui va accompagner les Bleus jusqu’au bout : "23 hommes en colère".
Le sélectionneur, qui se construit dans l’adversité, applique ses recettes aux joueurs.
Plusieurs fois par jour, sur la porte de la salle de réunion, juste au-dessus du judas, ceux-ci voient la photo d’eux prise sur fond de sommets enneigés à Tignes, et surmontée du fameux slogan.
Dressés contre les médias, les dirigeants et les critiques du public, enfermés dans un hôtel de luxe, comme des animaux en cage, ils vont finir par se retourner contre leurs maîtres.
Jean-Pierre Doly, ici avec Nicolas Anelka. (Reuters)
A la mi-temps du match face au Mexique, la colère atteint même son paroxysme chez Anelka.
On connaît la suite: insultes, exclusion, grève des joueurs, élimination.
Cacophonie totale.
Le soir de l’élimination, quelques minutes après le match perdu face à l’Afrique du Sud, Jean-Pierre Doly est en zone mixte, là où les joueurs passent devant les médias.
Il ne leur accorde pas un regard.
Il est rivé à l’écran télé, où, dans sa conférence de presse, Raymond Domenech est interrogé sur la raison pour laquelle il n’a pas serré la main de l’entraîneur adverse, Carlos Alberto Parreira.
Sollicité pour expliquer l’implosion d’un groupe, Doly ne se retournera même pas.
Jusqu’au bout, il boit les paroles de son ami.
Quel aura été le montant de ses honoraires facturés à la FFF ?
Celle-ci n’a pas souhaité communiquer sur le sujet.
Allez au plaisir de vous lire...