- DOSSIER PEDAGOGIQUE -
JERONIMUS
Ch. Dabitch et J.-D. Pendanx
Futuropolis, 2008 - 2010.
DOSSIER en ligne et téléchargeable :
Analyse de couverture : Jeronimus (Dabitch - Pendanx) Lecture en plein écran : http://fr.calameo.com/read/00011308794ac29a0ed23Les auteurs : Christophe Dabitch & Jean-Denis Pendanx
Né en 1968 à Bordeaux, Christophe Dabitch passe une maîtrise de lettres à la Sorbonne puis une maitrise de sciences politiques à Paris. Ayant fait l'IUT de journalisme à Bordeaux, il devient journaliste indépendant en presse écrite et audiovisuelle (Sud Ouest, La Nouvelle République, France 3, le Monde diplomatique, Passages, La Lunette, etc.). Egalement critique littéraire, il anime aussi des rencontres littéraires et réalise des documentaires et des magazines pour la télévision (notamment Dabic et Dabitch, un cousin serbe pour ARTE).
Christophe Dabitch est l'auteur de trois livres historiques (Le Tramway de Bordeaux, une histoire ; Le Marché des Capucins ; Les Cinquante Otages, un assassinat politique, éditions Sud-Ouest et éditions Le Cycliste). Il écrit des scénarios de bande dessinée, notamment Abdallahi et Jéronimus avec Jean-Denis Pendanx, et La Ligne de fuite et Mauvais garçons avec Benjamin Flao, tous publiés par les éditions Futuropolis de 2006 à 2010.
Né à Dax en 1966, Jean-Denis Pendanx passera par l'école Estienne à Paris, puis obtient un BTS en arts appliqués à Toulouse avant de suivre les cours de l'école des arts décoratifs de Paris. Il vit à Bordeaux où il se consacre à la bande dessinée, aux illustrations de livres pour la jeunesse, aux illustrations pour des magazines, ainsi qu'à des expositions et animations autour du métier de dessinateur de BD. En 1991 il publie avec Doug Headline son premier album : Diavolo le solennel (éditions Glénat). En 1993 paraît le premier volume de Labyrinthes, avec Dieter et Serge Le Tendre (5 albums chez Glénat) ; et il travaille en parallèle sur le dessin animé Corto Maltese. En 2002, il adapte les Corruptibles avec son auteur, Alain Brezault. En 2006 et 2008, il signe successivement Abdallahi puis Jeronimus avec Christophe Dabitch pour le compte de Futuropolis.
Réplique du navire Le Batavia, réalisée entre 1985 et 1995.
L’intrigue en résumé
Octobre 1628, Amsterdam. Jéronimus Cornelisz est apothicaire, et adeptes des cercles de réflexion les plus hérétiques de la ville. Venant de perdre son jeune enfant, et sous le menace des révélations d'un membre du cercle, torturé, il décide de quitter la Hollande, et de s'engager dans la puissante Compagnie hollandaise des Indes orientales. Il embarque sur un navire fraichement construit, le Batavia, à destination du comptoir du même nom. Mais ce bateau n'y arrivera jamais : voici l'histoire de ses passagers…
- Première partie : Un homme neuf (avril 2008).
- Deuxième partie : Naufrage (avril 2009).
- Troisième partie : L’Ile (août 2010).
Questionnaire pour les élèves
La couverture d’une B.D. comporte deux messages : l’un écrit, l’autre dessiné.
NIVEAU 1
- Quel est le titre de chacun des albums ? Quel est le nom des auteurs ? Le scénariste et l’illustrateur sont-ils deux personnes différentes ? A quoi voit-on qu’il s’agit d’un récit composé de plusieurs albums ?
- Quel est le nom de l’éditeur ?
- Pourquoi, à votre avis, les mots écrits sur la couverture sont-ils de tailles différentes ?
- Que représente l’illustration sur chacune des couvertures ? Décrire en cherchant les points communs ou les différences.
- Quelles sont les couleurs dominantes de chaque illustration ?
Quelles informations trouve-t-on à la fois dans le titre et dans l’illustration ? Quelles informations supplémentaires fournit l’image ?
NIVEAU 2
- Une couverture cherche à suggérer une histoire. D’après cette couverture, imaginez en quelques lignes quelle pourrait être l’histoire racontée dans la B.D.
- Ces couvertures vous donnent-elle envie de lire la B.D. ? Pourquoi ? En quoi peut-on dire que la couverture est la « vitrine » d’une B.D. ?
NIVEAU 3
- Essayer de décrire l’atmosphère de chacune des ces couvertures. Quels sont les éléments potentiellement révélateurs du destin tragique des personnages ou du navire Le Batavia ?
- Recherchez des exemples de peintures flamandes ayant pu influencer visuellement le dessinateur. Effectuer une comparaison avec les couvertures des récits écrits de l’épopée du Batavia.
- A quel(s) genre(s) littéraire(s) ou cinématographique(s) se rattache(nt) selon vous ces couvertures ? Expliciter vos choix.
Gravure illustrant le récit Ongeluckige voyagie, van't schip Batavia ("Le voyage infortuné du navire Le Batavia"), écrit par Francisco Pelsaert (1647).
Lecture et analyse de la couverture
Outre une accroche situant le contexte général (la Hollande et le commerce maritime au XVIIème siècle), le lecteur remarquera dès la couverture du premier tome (intitulé Un homme neuf) que la trilogie, fort justement nommée Jeronimus, semble se focaliser sur ou autour d’un nom : protagoniste central et élément annonciateur du drame à venir (« En octobre 1628, [il] n'avait plus rien à perdre.»), l’apothicaire Jeronimus Cornelisz est d’ores est déjà assimilé à ce trouble océan dont la menace insaisissable pèse graphiquement sur le navire Le Batavia. Ce dernier étant condamné à s’éloigner vers des horizons incertains, il disparait au second plan dans le brouillard, alors que l’imminence de la tempête et la présence immédiate des flots tumultueux amènent à penser à sa fin et donc à son probable naufrage.
Un nom, mais nul visage ni aucune silhouette humaine… A se demander si les acteurs de cette aventure au-delà des mers ne sont pas réduits à l’état de fantômes ou de marionnettes avant l’heure fatidique, tous livrés au bon vouloir du Destin. Les auteurs mettent de fait l’accent sur l’importance cruciale de la présence/absence des faits, gestes ou silences exprimés par les différents personnages. Ces derniers n’apparaitront que peu sur les trois visuels proposés, alors que l’ensemble des couvertures dévoile l’ascension et la noirceur meurtrière de Jéronimus. En couverture du tome 2, le visuel nous fait côtoyer toute la violence et la détresse de Cornelisz, partagé entre rêve de refaire sa vie dans un ailleurs idéalisé (le paradis du bout du monde, tel que vient le souligner l’accroche « Après tout, une île, c'est l'une des images du Paradis. Une clôture parfaite. ») et sombres pulsions (voir son visage entre ombres et lumières). Il se livrera de fait avec un petit groupe de partisans à des exactions de plus en plus ouvertement meurtrières sur ses compagnons de voyage. Le mot Naufrage, stipulé en page de titre pour ce deuxième album, parachève la double vision d’un homme et d’un navire entrainés par le même système inhumain (l’essor du capitalisme et de la finance à outrance) dans un océan d’infortune. A l’opposé de la couverture du tome 1, le visuel du tome 2 est constitué de couleurs plus chaudes, laissant une large part au noir (mort, crime et désespoir) et au brun/rouge (homme, passions, sang et violences de tous ordres). Nous retrouverons ces teintes froides et chaudes en couverture du dernier volet (L’Ile), où le personnage de Jéronimus, symboliquement vêtu de pourpre, est très directement associé à la mer de sang abandonnée dans le sillage de son embarcation de fortune.
Recherches en noir et blanc pour le visuel de couverture du tome 2.
J.-D. Pendanx : " Trois recherches de couverture pour le tome 2, dont une qui est la combinaison (informatique) de deux images. Elle ne sera pas retenue, mais le portrait de Jéronimus restera comme l'image la plus simple et la plus forte..."
Projet initial de couverture pour le tome 2 et visuel final (ci-dessous).
Le titre Jeronimus dévoile aussi l’importance du traitement biographique dans un scénario développé sur un ton strictement historicisant, où la présence et les explications du narrateur omniscient permettent de comprendre les tenants et aboutissants des actes du personnage central. C’est que, contrairement au contenu de leurs œuvres précédentes - Abdallahi et La ligne de fuite -, où le lecteur pouvait rencontrer tel ou tel personnage fictif au détour d’une histoire parfaitement documentée, tous les protagonistes de Jéronimus ont réellement existé. On rappellera en effet que l’ensemble des faits tragiques retranscrits au fil des trois albums (incarcération de Torrentius, coup de tabac, escale, incident provoqué par Arien Jacobsz sur un des navires de l’escorte, rôle de Jeronimus ou massacre des familles…) se sont déroulés tels que contés. La seule liberté que semble s’être octroyée Christophe Dabitch concerne les hypothèses émises sur la façon dont se sont tissés les liens, construites les circonstances et élaborées les manigances qui conduiront à la future tragédie. Sans oublier, bien sûr, la teneur des conversations et des pensées intimes.
On peut à vrai dire comprendre dès cet ensemble de couvertures, et grâce aux accroches, les conditions de vie à bord, la nature des relations entre les responsables, l’équipage et les passagers, le portrait psychologique des différents acteurs ou encore l’enchainement des évènements...
Essais couleurs pour le visuel du tome 3 ; l'image originale (au centre, avec un ciel bleu) a été retouchée pour donner une atmosphère plus pesante.
Visuel final pour la 1ère de couverture du tome 3.
Entre voix off, dialogues et planches muettes, Jean-Denis Pendanx dresse quant à lui dans chaque case autant de tableaux à contempler, évidemment inspirés des marines et des techniques en clair obscur des peintres flamands et hollandais des XVème et XVIIème siècles. « Restant fidèle aux méthodes traditionnelles pour l’exécution de chacune de ses planches, l’auteur réalise d’abord un premier crayonné soigné qui lui permet de mettre en place les bases de son découpage. Ensuite, il réalise un dessin au feutre, puis, par un jeu de calque, il le transpose sur des feuilles à dessin classiques, avant de passer à la mise en couleurs avec de la peinture acrylique » (informations : Gilles Ratier et BD Zoom). Intérieurs tour à tour sombres et lumineux, paysages et vues maritimes, expressions des visages ou extériorisation des sentiments, chaque détail est traité par couches supplémentaires de gouache et grâce à de petits coups de pinceaux facilement repérables dans les parties mouchetées. Parmi les peintres hollandais ayant pu avoir une influence notable sur les gammes chromatiques et les ambiances développées par J.-D. Pendanx, citons ici les incontournables Rembrandt (1606 - 1669) et Johannes Vermeer (1632 - 1675), mais aussi Johannes Torrentius (1589 - 1644), Frans Hals (vers 1580 - 1666), Jan Steen (1625 - 1679) Jan De Bray (1627 - 1697), Adrian van Diest (1655 - 1704) et Pieter de Hooch (1629 - vers 1685).
Dans Jeronimus, l’invitation au voyage apparait sous des jours dramatiques et des atours psychologiquement dérangeant ; elle n’en demeure pas moins fascinante de par ses répercussions religieuses, humaines et philosophiques entre Arts et Lettres de l’époque Moderne.
Pour compléter cette analyse, le dessinateur Jean-Denis Pendanx a bien voulu répondre
à l’entretien exclusif suivant :
1. Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Jean-Denis Pendanx : Le projet « Jéronimus » est parti du cadeau du roman de Simon Leys [NDA : Les Naufragés du Batavia, suivi de Prosper (éditions Arléa (2003) et Points-Seuil (2005))] que m'a fait Christophe Dabitch pour mon anniversaire. Leys renvoyait à un autre livre, L'archipel des hérétiques [roman de Mike Dash publiée en 2005 par les éditions Jean-Claude Lattès], que je me suis empressé d'acheter... Un vieux rêve de dessiner une histoire forte et vraie au 17ème siècle prenait forme, et nous nous sommes lancés dans cette aventure dans la foulée d'Abdallahi (saga en 2 tomes décrivant le parcours africain de René Caillié et publiée par Futuropolis en 2006). Le hasard fait donc parfois bien les choses...
2. Quelle(s) volonté(s) artistiques ou éthiques, autour de la conception de ces couvertures ? A quelle étape de votre travail concevez-vous ces 1ères de couverture ?
J.-D. Pendanx : Les projets de couvertures sont souvent un problème pour les dessinateurs, car, en effet il faut faire l'illustration au milieu de la réalisation de l'album, et on n'a pas toujours une vision d'ensemble du livre... Aussi, l'éditeur a un droit de regard sur l'image de la couverture et parfois des idées bien arrêtées de ce qui doit être ou ne pas être, par exemple : mettre les héros au premier plan, etc...
Dans le cas de Futuropolis, le graphiste, Didier Gonord, est plus un partenaire dans l'élaboration de la couverture, il peut intervenir sur notre dessin, le recadrer, changer les couleurs pour rester en cohérence avec la ligne graphique et l'identité des éditions Futuropolis. Parfois, il fait plus œuvre de création, par exemple l'image du tome 1 m’a été livrée avant que je ne dessine une esquisse de projet... Didier a combiné 2 images des pages déjà scannées et a créé une image originale du bateau dans la tempête, le tour était joué et j'ai été emballé par sa proposition !
3. Comment se détache-t-on des albums - voire des affiches de films - déjà parus sur le sujet (aventure maritime au sens marge pour le 1er album, puis "thriller" historique pour les suivantes...) ?
Pour le tome 2 de Jéronimus ou l'on voit le visage de Cornelisz, il y a eu des recherches du style bateau pendant le naufrage, panique à bord, bref, une image spectaculaire ; mais ça ne collait pas avec le récit et elle donnait plutôt le mal de mer... J'ai d'abord pensé faire le visage de Jéronimus comme un sur imprimé sur une scène de naufrage... Mais à l'arrivée, elle faisait trop image d'affiche de cinéma (ancienne), on a vite écarté cette idée et on s'est accordés avec Christophe, Didier et Sébastien Gnaedig [directeur de collection] pour laisser le visage en gros plan qui se suffisait à lui-même et on restait cohérents avec le premier album.
Pour le tome 3, on s'est efforcé de rester dans cette cohérence : une image simple et évocatrice d'un drame en plan lointain, cette fois.
Par contre, les trois plats de 4ème de couverture (voir ci-dessous) sont pensés dès le début. On voulait raconter (ou plutôt évoquer une petite histoire) : d’abord un zoom arrière sur un tableau inspiré des peintres flamands (contemporains de Jéronimus), puis le tableau dans le tableau (mise en abyme), pour finir dans le tome 3 avec des ombres portées, comme des fantômes ou des visiteurs de musée, renforçant l'idée du drame de cette série.
Plats de 4ème de couverture pour les tomes 1 à 3.
4. Y'a-t-il des détails ou des scènes que vous ne vouliez pas montrer ?
En général, je préfère une scène épurée, qui peut questionner le lecteur et forcément représentative de l'album.J'évite, comme dans les pages de Jéronimus, de montrer une scène violente ; l'évocation par le texte
reste la plus forte. La charte graphique et les visuels des pages de garde peuvent être proposées ou discutés mais dans notre cas, nous faisons confiance au talent de Didier Gonord et il a carte
blanche.
Visuel réalisé pour le coffret de l'intégrale.
Pistes supplémentaires
- http://www.futuropolis.fr/fiche_titre.php?id_article=717159 : page consacrée à la saga sur le site officiel de l’éditeur.
- http://www.bdgest.com/news-292-BD-jeronimus-une-experimentation-humaine-.html : interview des auteurs réalisée en 2008 par le site BDGest.
- http://www.wideo.fr/video/iLyROoaf8_l7.html : interview vidéo de Ch. Dabitch pour l’émission Carré VIP à l’occasion de la parution du 3ème tome. Durée : 13 min.
- http://www.mandragore2.net/dico/lexique2/lexique2.php?page=voyage-batavia : descriptif du voyage et du naufrage du Batavia. Détail de la liste des mutins et bibliographier complémentaire.
- http://robinsons.over-blog.com/article-31640326.html : récit et analyse des étapes de l'itinérance de Jéronimus.
- http://www.cosmovisions.com/peinturePaysBasChrono.htm : une histoire de la peinture hollandaise.
Visuel réalisé pour l'étui de l'intégrale par J.-D. Pendanx.
Dossier réalisé par Ph. Tomblaine.
Images toutes ©Editions Futuropolis.