Magazine Cinéma
Synopsis :
Un adolescent fragile et marginal fait la rencontre d'une jeune et étrange fille avec qui il se lie d'amitié. Mais bientôt celui-ci va découvrir le secret de son amie...
Critique :
Il y a deux ans, Morse (lire notre critique) avait séduit la planète ciné par son style glacial, son propos très fort sur l’adolescence marginale et une appropriation du mythe des vampires qui lui valurent plus d’une fois d’être considéré comme le plus beau film sur les buveurs de sang jamais mis en scène. Une mise sur un pied d'estale méritée qui se vit presqu’aussitôt suivi par l’annonce de la mise en chantier de la version américaine du film. Une annonce accueillie en demi-teinte s’il n’y a eu aux commandes Matt Reeves, réalisateur talentueux découvert par JJ Abrams à qui l’on doit notamment le curieux mais spectaculaire Cloverfield.
Ayant été réellement séduit par Morse, c’est donc avec une impatience certaine que j’attendais de découvrir Laisse-moi entrer, impatience renforcée par la présence de l’ultra talentueuse Chloë Moretz dans le second rôle principal. Une attente comblée car le film se révèle être aussi captivant que son modèle Suédois, sans le supplanter certes, mais sans l'amoindrir plastiquement ou émotionnellement. Alors il est vrai que la question se pose de « pourquoi un remake » ? Question simple réponse simple, car étant Suédois, le film aussi bien soit-il n’a pu être distribué aussi largement qu’un film grand public en raison du fait qu’aux USA, un film étranger est à peu près aussi bien distribué qu’un film coréen en France. Un remake donc pour partager cette histoire au plus grand nombre ce qui, dans le cas de Laisse-moi entrer, ne peut-être qu’une bonne chose tant les qualités se révèlent nombreuses.
Mais plus qu’un remake, le film de Matt Reeves s’apparente d’avantage à une relecture du roman d’origine, empruntant parfois les plans du film suédois de manière identique mais en changeant la construction narrative. Là où Morse était linéaire, Laisse-moi entrer prend le parti d’un long flash-back qui reviendra à mi-film au point de départ. Cette ellipse a pour effet de capter dès les premiers instant l’attention des spectateurs avant une plongé apnéique dans l’ambiance neigeuse du Nouveau-Mexique, se substituant à l’hiver Suédois original. Un décor glacial teinté jaune par les lumière des habitations du quartier du jeune Owen qui laissera apparaitre la figure triste d’Abby, adolescente au visage ambigu, une apparence juvénile pour un regard adulte qui rend hommage au jeu de la jeune et spectrale comédienne Lina Leandersson qui interprétait son rôle dans Morse.
Le malaise du jeune garçon est toujours là, il est toujours humilié et martyrisé en classe et va toujours trouver le réconfort dans la compagnie de cette jeune fille inconnue qui deviendra sa seule amie, sa confidente, son amour platonique. Un amour naissant d’un malaise partagé, ces deux êtres à l’aube de leur éveil sexuel errant dans la vie telle deux âmes incomprises. De ce point de vue, Laisse-moi entrer retranscrit les mêmes émotions que son modèle en s’affranchissant de tout sentiment de "pompage". Matt Reeves et son rythme lancinant rend cette histoire d’amour d’une puissance incroyable en jouant sur les regards de chaque adolescents et sur les phrases énoncées au compte goutte. Les mots ne tombent pas par hasard, ils sont pesés et finalement peu présents, dédoublant ainsi leur impact.
La naïveté qui se dégage des deux comédiennes (aux performances exceptionnelles) contraste d’autant plus avec la bestialité d’Abby lorsqu’elle se retrouve confrontée au sang. Une transformation physique et vocale qui n’était pas présente dans Morse, Tomas Alfredson ayant choisi de maintenir un style épuré tout au long de son film, mais qui était pourtant décrite dans le roman. Une métamorphose utilisée avec parcimonie qui ira souvent de paire avec l’utilisation de SFX permettant à la jeune vampire de se mouvoir avec plus de crédibilité lors de ses assauts carnassiers. Des assauts peu présents mais plus impressionnants et qui resteront d’un point de vue émotionnel très fort, du fait que ces derniers ne soient pas gratuits mais menés à des fins de survie. Et c’est bien là toute la puissance de l’histoire, celle de proposer un film d’horreur sensible, l’horreur n’étant que la résultante d’une faim incontrôlable mais nécessaire pour Abby.
En proposant une autre vision du livre d’origine, Matt Reeves réussi son pari de faire un remake aussi puissant et émouvant que le film original, une œuvre magnifique quoiqu’un tantinet mois subtile que Morse. Avec le discours de Reagan en fond sonore sur le combat du bien contre le mal communiste, Reeves va à la simplicité tandis que Morse restait sur le fil du rasoir, refusant toute prise de partie et n’affichant aucun point de vue sur la morale. La notion de bien et de mal est ici plus convenue, plus explicite et c’est probablement ce choix qui sera le seul point à redire de Laisse-moi entrer. La relation père-fille incestueuse, le regard du jeune garçon sur le corps nu du vampire, autant d’éléments perturbants qui contribuaient à faire de Morse l’électrochoc qu’il était. Regrettable certainement, mais ne nuisant jamais aux qualités de ce Laisse-moi entrer, film froid et direct qui surprendra les spectateurs venus chercher du cinéma plus classique, grand bien leur fasse !