« Black bazar » au Lavoir moderne parisien (critique)

Par Sumba

Modeste Nzapassara : un Fessologue subtil, c’est possible !

Ne vous étonnez pas si, en nous lisant, vous avez comme l’impression qu’on est hors du coup. Car, si nous arrivons au Lavoir moderne alors que la pièce « Black bazar » lui fait ses adieux, nous n’agissons pas autrement que le héros, le fameux Fessologue du roman d’Alain Mabanckou. Comme lui, nous observons les choses par derrière, avec le recul nécessaire à une vue panoramique !


Qui s’intéresse un tant soit peu à littérature aura forcément entendu parler du prix Renaudot de l’an dernier. Si cela ne vous dit rien, sans doute le personnage du Fessologue sera t-il plus évocateur. Son seul nom laisse deviner un personnage haut en couleurs, digne représentant des créatures truculentes qui peuplent les romans d’Alain Mabanckou. Alors, quand Modeste Nzapassara décide d’adapter « Black bazar » au théâtre, il ne peut qu’accorder une place centrale à ce type aussi bizarre que le sobriquet qui le désigne. D’autant plus que l’homme à l’origine du projet est aussi sur scène, et qu’il y est seul. Il réduit donc le texte, le resserre autour du Fessologue qui est amené, à travers un long monologue, à imiter tous les compatriotes qui ont une importance quelconque dans son récit.

Dès le départ, quand l’acteur apparaît tiré à quatre épingles au milieu d’un décor on ne peut plus rudimentaire, le profil de l’urluberlu est tracé : on a à faire à un « sapeur » congolais, un pur et dur, reconnaissable à sa panoplie vestimentaire qui, c’est le moins qu’on puisse dire, manque de décontraction. Costume, cravate, paire de westons… Tout y est, et leur propriétaire ne se gêne pas pour le faire savoir : toutes les occasions lui sont bonnes pour faire allusion à sa mise exceptionnelle. Mais derrière cette fierté point une frustration qui ressort à la moindre avanie. Par exemple, quand Hypocrate, un voisin raciste et prodigue en clichés sur l’Afrique, impute aux immigrés le trou de la sécu, notre cher Fessologue ne trouve guère mieux à faire que de s’indigner en ces termes : « Il s’imagine que j’achète mes fringues avec l’argent de la sécu ».

C’est dire si les idées reçues ne sont pas l’exclusivité du voisin mal embouché ! On pourrait même dire qu’à part son aptitude à déterminer le caractère des femmes à partir leur « face B » (le postérieur, dans le jargon du protagoniste), le mordu de fringues de marque est dépourvu tout sens de l’analyse. Comme la scénographie l’indique, son horizon semble compris entre son studio du 18ème arrondissement et le Jip’s, petit bar des Halles, enclave afro-cubaine où se mêlent touristes, immigrés et parisiens. Figuré par de simples chaises et tabourets, le bar a un aspect irréel, à tel point qu’il pourrait bien n’être que le fruit du délire éthylique de l’expert en « faces B ». Car son récit est cousu d’anecdotes de comptoirs, qui ne prennent sans doute tout leur sens qu’imprégnées de l’alcool qui coule à flot dans les vapeurs du Jip’s.

Avec le sourire un brin ironique qu’il exhibe du début à la fin du spectacle, Modeste Nzapassara semble regarder le personnage qu’il incarne avec une sorte de dérision non dénuée de tendresse. De même lorsqu’il imite les compagnons de bar du Fessologue, venus de tous les coins de l’Afrique pour échouer dans un rade où les souvenirs se pressent. Dans les mimiques du comédien, dans son habileté à reproduire les différents accents africains, on devine l’acuité de son observation de la population immigrée. Avec son évident recul, il adopte une position comparable à celle d’Alain Mabanckou, qui dans son roman ne cesse de s’amuser des petits ridicules de chacun. Rien ni personne ne résiste à l’intelligente raillerie portée par ce spectacle : blacks, blancs, métisses, tous sont les larrons d’une même farce.

De potin en potin, de pelfort en pelfort, sont abordés pêle-mêle les problèmes d’intégration des Africains à Paris, les déboires sentimentaux des uns des autres (Fessologue s’est fait quitter par sa copine Couleur d’Origne), les rêves de chacun. Saupoudrés d’un humour de bon goût, ces ingrédients participent d’une joyeuse palabre qui nous convainc que rien ne vaut la simplicité, et que tout dépend de la façon de l’accommoder.

Black bazar, d’après le roman d’Alain Mabanckou

Mise en scène et jeu : Modeste Nzapassara
Scénographie : Alwyne de Dardel
Lumière : Franck Thévenon
Costumes : Claire Risterucci
Son : Pablo Bergel
Lavoir moderne parisien – 35, rue Léon – 75018 Paris
Du 29 septembre au 9 octobre 2010