Retraites : la fièvre jeune fait peur à l’Elysée

Publié le 11 octobre 2010 par Unpeudetao

Nicolas Domenach - Marianne, Samedi 9 Octobre 2010

Des milliers de lycéens et d'étudiants battant le pavé contre la réforme des retraites… Un scénario tant redouté au point que l'Élysée tente aujourd'hui de tuer dans l'œuf la contestation estudiantine. Mais appels de ministre ou de conseiller à l'ordre scolaire, consignes aux rectorats viendront-ils à bout d'un mouvement, qui pourrait redonner un peu d'espoir à une jeune en difficulté ?

Ce sont à peine 80 lycées (sur plus de 4 300) qui, d’après le ministère de l’Éducation ont été « touchés » par des mouvements divers de protestation contre la réforme des retraites. Mais l’Agence France Presse a relevé plusieurs centaines de lycées en mouvement et à la vérité, l’Élysée a commencé de s’angoisser.
Le Château redoute plus encore que des grèves dans les transports, la « fièvre jeune », un coup de chaud en automne. Des blocages de bahuts, des milliers de lycéens qui prendraient la rue comme les pirates la mer, avec Le Risque de bavure inhérent à de telles irruptions : la mort d’un môme.

Tous les hommes de pouvoir aujourd’hui, et Nicolas Sarkozy le premier qui était en ces lointaines années petite main au cabinet du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, tous ceux-là ont encore en tête la «bavure fatale», la «mort de Malik Oussekine», ce jeune étudiant matraqué par les policiers voltigeurs alors qu’il manifestait pacifiquement. A la suite de son tragique décès, le chef du gouvernement de l’époque Jacques Chirac retirait le projet de réforme des universités du ministre Alain Devaquet, qui démissionnait peu de temps après.

Ce fut le premier d’une longue série de reculs et de dérobades devant les « djeuns ». Les sarkozystes s’en moquaient volontiers en prétendant que Jacques Chirac reculait dès que sortaient sur le trottoirs «  trois trottinettes, deux landeaux et quatre poussettes ». On se souvient du retrait du CPE de Dominique de Villepin, devant les étudiants manifestant, soutenus par… le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy ! Mais on a oublié que le même avait organisé la marche arrière toute, devant les foules juvéniles qui refusaient le CIP de son grand homme d’alors, le Premier ministre Edouard Balladur. On comprend donc qu’il ait donné consignes aux préfets comme aux recteurs de surveiller ce lait sur le feu, et consignes aux dirigeants et relais de la majorité d’intervenir vite fait pour éviter tout bouillonnement.

Ainsi, vendredi dès potron-minet, le conseiller social de l’Élysée Raymond Soubie est, sur RTL, intervenu pour rappeler à l’ordre scolaire tous les « irresponsables » qui voudraient manifester contre la réforme des retraites. Les dirigeants des associations de parents d’élèves proches de la majorité, comme la Peep, ont immédiatement embrayé, mettant en garde contre toute manipulation. On espère bien évidemment en haut lieu que le motif, « le prétexte » dit-on, de la mobilisation serait trop éloigné des préoccupations adolescentes : on ne s’emballerait pas contre une réforme des retraites quand on a de 10 à 18 printemps.
Certes. Mais dans l’opposition, on caresse l’espérance inverse. Et en l’occurrence, tous les relais associatifs et syndicaux ont été alertés. Car on sait parfaitement de ce côté-là aussi la crainte que suscite un bourgeonnement estudiantin et lycéen. Dis crument cela donne : « il n’y a que les jeunes pour leur foutre la trouille !.. ».

PS, PC, Verts, extrême gauche ont-ils encore les moyens d’entraîner la relève dans un mouvement d’aînés ? Certes les progressistes de tous poils ne sont plus ce qu’ils ont pu être dans le monde éducatif, mais ils conservent un poids et une influence qui sont loin d’être négligeables. Bien sûr, la retraite n’est pas la première préoccupation de générations qui n’ont pas de boulot et peu de perspectives d’en décrocher. Mais justement, ce milieu est inflammable.
Explosif. Pour ceux qui en douteraient, il suffit de lire la « Lettre à la Jeunesse » (Éditions Grasset) que vient d’écrire Rama Yade et qui dresse un bilan accablant pour son gouvernement comme pour les précédents, puisque les jeunes français y apparaissent comme les plus frappés par le chômage, les moins autonomes et les plus désespérés d’Europe. Pire encore, alors que nous sommes bassinés par le culte de la jeunesse, cette jeunesse en difficulté est « invisible ». On ne voit, on n’entend que les bastonneurs de banlieues ou la fine fleur des beaux quartiers, mais la grande masse qui galère dans des études aux débouchés incertains, ou dans des stages de misère, celle-là est condamnée à remâcher ses difficultés, ses échecs et sa dépendance parentale en silence. Cette foultitude juvénile ignorée, dépréciée pourrait tout à fait se mettre en mouvement ne serait ce que pour reprendre un coup de confiance en elle, un coup d’amour, un coup d’on s’aime. Ce n’est pas sûr du tout que ça passe par des manifs pour le retrait de la réforme des retraites.

Mais allez savoir par où va la vie….

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