Le premier volet des messes brèves de JS Bach par l'ensemble Pygmalion, sous la direction de Raphaël Pichon avait été pour moi un véritable choc, à tel point que j'avais hissé ce disque au niveau du "coup de cœur des coups de cœur" 2008 attribués par le poisson rêveur.
L'inconvénient majeur de cet enthousiasme réside alors dans le fait de fixer les attentes sur le deuxième volet à un tel niveau que le risque est forcément grand d'être déçu. Pour être franc, c'est ce qui s'est passé à la première écoute de l'enregistrement des messes brèves BWV en la majeur et BWV 236 en sol majeur de JS Bach, tout comme pour le Motet O Jesus Christ, meins lebens Licht BWV 118.
Il convient alors de nettement relativiser ce premier jugement en prenant en compte un facteur déterminant qui est, de toute évidence, la différence de climat qu'incarnent les messes BWV 233 et 236 par rapport à celles du premier enregistrement (BWV 234 et 235). On opposera, pour faire simple, la plénitude, l'éclat des messes du premier volet à l'austérité de celles du second. Pourtant, toutes ces messes ont indéniablement une force expressive exceptionnelle. Celle-ci se traduit tout simplement de façon assez différente entre le couplage des BWV 233/ 236 et celui des BWV 234 / 235. Ce n'est donc certainement pas un hasard si Raphaël Pichon a procédé ainsi dans la programmation des deux disques. Les deux messes du premier enregistrement ont une sorte d'immédiateté. Elles emplissent l'espace sonore de façon évidente. Elles sont chatoyantes et fluides. Les deux autres messes, malgré une tonalité à chaque fois en majeur, sont plus sombres, plus fondues. Elles s'inscrivent pleinement dans le climat propre à la liturgie protestante avec une théâtralité toujours présente mais bien plus retenue, une complexité harmonique certainement supérieure (notable dans chacun des deux Kyrie) et un souci d'équilibre constant qui font qu'elles séduiront d'emblée nettement moins.
Ensuite, vient le sacro-saint (si on peut se permettre cette expression sur ce sujet) problème des choix rhétoriques. Je pense personnellement qu'avec le potentiel certain du chœur de cet ensemble, Raphaël Pichon aurait peut-être pu adopter une posture moins résolument respectueuse du texte, moins "évanescente", plus mordante, surtout sur les parties chorales qui sont déterminantes sur ces messes car elles marquent de facto leur identité sonore. Sans pour autant atteindre (est-ce possible ?) la beauté plastique et la souplesse extrême que peut modeler un Philippe Herreweghe ou la belle transparence d'un Masaaki Suzuki, on a l'impression que le jeune chef français s'est un peu trop retenu, au détriment de la marque de fabrique essentielle de son interprétation, à savoir la recherche de la lumière (cf. interview du 30 octobre 2009). Cela devient alors une véritable quadrature du cercle. Comment préserver l'identité sonore de cet ensemble, à savoir cette plénitude, cette luminosité (j'avais parlé de messes "incandescentes" en 2008) sur deux messes quant à elles écrites sous le signe du clair obscur, des nuances subtiles, d'une forme plus marquée de recueillement ?On ne sait finalement pas si l'option d'un tempo plus rapide, d'un mordant plus marqué sur les phrasés, d'un plus grand contraste sur la structure polyphonique aurait finalement été opportune sur ces messes. On peut en rêver en gardant la nostalgie de l'éclat des BWV 234 et 235 mais il se peut tout à fait qu'elle soit d'un ridicule achevé sur les BWV 233 et 236. En tout cas, je suis pour ma part persuadé que Raphaël Pichon aurait pu serrer d'un cran la tension de la ligne, cette fameuse tension sous-jacente, jamais ostentatoire, si difficile à doser et à maintenir sur le continuo et qui est résolument la clé de l'interprétation des pièces sacrées du Cantor. Le débat reste ouvert.
Quant au motet O Jesus Christ, meins lebens Licht, on reste sur la même impression. Je ne peux m'empêcher de penser que, face à la version d'une limpidité et d'une évidence inouïes que Masaaki Suzuki a justement enregistrée cette année, celle de Raphaël Pichon est d'une solennité trop marquée. On a ici une illustration parfaite de la différence qu'apporte cette fameuse tension de la ligne. Ce qui manque à mon goût dans la version de l'ensemble Pygmalion c'est justement une pulsation plus marquée qui pousse inexorablement le chœur à se déployer de façon plus lumineuse et transparente. Moins de sensation d'étouffement finalement, plus de respiration, et... plus de densité, alors que dans les deux cas le tempo est quasiment identique. Mais tout cela reste bien entendu subjectif.
Malgré ces quelques réserves, le potentiel extraordinaire de cet ensemble n'est plus à démontrer et si on les trouvera soudainement trop "sages" et respectueux sur ce second volet, on sait à quel point ils peuvent bousculer avec pertinence notre écoute de ce répertoire et démontrer, notamment au concert, leur sens de l'audace et leur spontanéité. Sur ce second volet, la jubilation laisse place à une forme d"intériorité, à la recherche louable de l'intelligence du texte. On peut ne pas aimer et préférer la face éclairée et riante de Pygmalion à celle-ci plus obscure et plus grave. En tout cas, on ne pourra pas nier sa maturité déjà exceptionnelle quand on considère l'âge moyen des interprètes.
Il est important de noter que cet enregistrement nous permet de vivre des moments d'une belle intensité (je pense par exemple au au sublime Kyrie et au magnifique Domine Deu de la messe BWV 236, d'ailleurs très bien interprété par le duo soprano /alto).
On notera enfin l'homogénéité et la tenue du quatuor de voix, supérieures dans cet enregistrement, par rapport au premier. Eugénie Warnier notamment est particulièrement convaincante avec un timbre lumineux, notamment sur le Qui Tollis de la messe BWV 233 et Christian Immler qui commence à être aguerri sur ce répertoire s'affranchit de façon convaincante des difficultés des arias de ces messes.
Je suis certain que cet ensemble, et son brillant chef, sauront à nouveau nous émouvoir et nous éblouir, tant au disque qu'au concert.
JS Bach - Missae Breves BWV 233 & 236 - Motet O Jesus Christ, meins lebens Licht BWV 118 - Ensemble Pygmalmion - Direction Raphaël Pichon - Eugénie Warnier, soprano, Terry Wey, alto, Emiliano Gonzalez-toro, ténor, Christian Immler, basse - label Alpha.
Extrait : Kyrie de la messe brève BWV 236.