Anthologie permanente : Bernard Collin

Par Florence Trocmé

Vous n’avez pas honte, oui j’ai honte, et se taire, tant d’impudence, vous n’irez pas loin, tant de médiocrité très bien, ne vous penchez pas trop sur celui-là, tant d’arrogance vaut bêtise, tant de alors ce n’est pas la faute de quelqu’un celui-là, vous êtes à la bonne, à la juste distance, comme le Seigneur qui voyait le soleil dans sa juste grandeur avec ses yeux d’homme, essayez, la distance rhétorique, je n’ai rien à dire de plus secret, si vous avez peur, comment ferez-vous pour parler si celui-là est menacé, alors il ne dira rien, ne trouvera rien à dire, et dit véritablement en pensant qu’il ne cache rien, rien de secret par là, parce que si les pensées secrètes sont interdites et qui les interdit, il n’y a personne derrière vous ou au-dessous, il n’y a pas de danger parce que vous êtes libre, comme vous êtes libre de traverser l’océan à la nage et vous n’avez pas peur et soudain il faut le traverser, il n’y a pas moyen de rester sur la terre ferme, et il faut y aller, y entrer, et c’est possible, et c’est faisable, les capacités humaines se développent, à l’eau, à l’eau, dans l’eau, on va vous expliquer d’où vous est venue la partie nautique, maritime, mouillée, aquatique, vous pourrez dormir pendant la traversée, sans précipitation, le souffle régulier, et même respirant comme une baleine, en quoi consiste la vie, la langue, dit que c’est pareil, un besoin de parler et quand vous priez, c’est vous qui parlez ? Il parle ou il écoute et quand il a besoin d’un bâton (bastón) pour marcher, quand je m’arrête, et s’il faut prendre sa canne pour marcher dans l’eau, et si elle flotte et si on peut embarquer sur son bâton, sur son balai. 
 
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Embargo entraîne de grandes conséquences dans le monde, et sans embargo en espagnol ne veut jamais dire que cependant, néanmoins, toutefois, rien de très important. Alors vous n’écrivez plus, c’est antipathique, cherche le mot antinomie, une chose exclut l’autre, une activité incompatible, a retrouvé le mot juste, mais pas du tout, sur la compatibilité des choses à dire, compatir, compassion si vous voulez et si vous ne voulez pas, je n’emploierai pas le terme, compatir un peu et passion sûrement, passionnée oui et distante, à la juste distance, comme celui qui voyait le soleil dans sa juste grandeur, veuillez m’excuser, je n’ai pas eu un moment compatible pour vous lire, ou la compassion, personne ne mérite votre misérable dureté, je ne pensais pas vous offenser, donc vous êtes pire que l’hyène ou la hyène la plus méchante, demander pourquoi la cruauté a un rapport avec la laideur, le bel ours, le beau tigre, le beau loup, le beau lion, vous m’avez déjà dit, alors il ne dit plus rien par crainte de se répéter, c’et vraisemblable que si vous ouvrez les livres vous allez encore vous répéter, ou seulement des formules, par formule la sirène indique qu’il est midi, le premier midi du mois, et c’et le mercredi, la musique de la sirène a changé, le deuxième appel, a été supprimé, le premier a été prolongé vous êtes sûr je demande, parce qu’il n’a pas été assez attentif, comment vous avez écouté, les oreilles assez ouvertes, ou pensant à autre chose, j’écoutais le son de votre voix, et j’interprète, ou n’entends rien de précis derrière, et à la dernière ligne la sirène appelle pour la seconde fois. 
 
Bernard Collin, Vingt-deux lignes cahier 100, Les Petits Matins, 2010, pp. 24 et 55

Précision utile : en marge d’une œuvre rare, discrète et inclassable, Bernard Collin écrit vingt-deux lignes par jour depuis cinquante ans, et le cahier numéroté 100 est le premier, qui soit édité. (voir note de lecture de Jean-Pascal Dubost). 
 
Fiche bio-bibliographique de Bernard Collin 
 
par Jean-Pascal Dubost 
 
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