Si paloma est la colombe, Palomino est ce prénom mièvre qu’affectionnent les très petites gens d’Amérique pour rendre la vie Disney. Éphèbe artiste à voix d’or, pourquoi diable ce jeune homme s’est-il engagé dans l’armée ? Le gendarme du lieu, bon paysan à qui le fonctionnariat permet de manger, observe à ras d’éducation a progression de l’enquête. Son lieutenant blond n’est pas un métis comme lui, ni comme la victime, et il bande pour une bonne grosse, femme de pêcheur tétonnant et musclée. Il aime l’humain, le lieutenant, comme Lituma le gendarme.
Et le récit avance ainsi comme un roman policier. Tout le monde se tait de peur de représailles des puissants. Palomino à la voix d’ange est pleuré mais il a suivi son destin. Pourquoi celui-ci a-t-il voulu qu’il tombât amoureux d’une inaccessible, la fille blanche du colonel de la base ? Comment un troufion métis pourrait-il ne serait-ce qu’un instant envisager de transgresser l’ordre établi, immémorial, selon lequel chacun chez soi, les officiers entre eux et les Blancs à part ? Sauf que le colonel, rigide avec ses hommes, n’est pas qu’un père pour sa fille orpheline…
Qui a donc tué Palomino Molero ? Eh bien c’est le destin, l’indifférence de Dieu pour les pauvres et les humbles, les yeux fermés sur les turpitudes des puissants. Mario Vargas Llosa situe le roman 50 ans plus tôt que sa publication, dans un éternel péruvien qui est celui issu de la colonisation. Une bourgeoisie blanche propriétaire et soldate domine une paysannerie métisse pauvre et ballotée. Tout se sait dans le village, ce que font les gendarmes et ce qu’ils savent. L’existence villageoise est impitoyable et les ragots tiennent lieu de fesses-bouc. Ce pourquoi le scandale ne peut être étouffé, même si la hiérarchie tente de minimiser. Ce sont alors les fantasmes populaires qui émergent, la paranoïa du Complot. « Ce sont les gros bonnets » qui tirent les ficelles ; l’amour-passion en enceinte militaire est trop beau, « c’est probablement une histoire de pédés » ; d’ailleurs, puisque l’armée est impliquée, « il s’agit d’espionnage », donc de l’ennemi héréditaire « l’Équateur », qui voudrait bien récupérer son accès à la mer perdu à la fin du XIXe dans une guerre imbécile.
Court, linéaire et vivant, ce roman introduit facilement à l’œuvre du tout nouveau Prix Nobel de littérature 2010. Qu’on se le lise !
Mario Vargas Llosa, Qui a tué Palomino Molero ? (Quién mató a Palomino Molero ?), 1986, Folio 1989, 190 pages, 5.32€