Showrunner de Dexter pendant les quatre premières saisons, Clyde Phillips est également le créateur de la série Parker Lewis (Parker Lewis Can’t Lose) diffusée entre 1990 et 1993 sur la Fox. Bob Greenblatt, président de Showtime, était à cette époque cadre au sein de la Fox. Une rencontre qui portera ses fruits une dizaine d’années plus tard, et qui vaudra en partie à Clyde Phillips son rôle central sur Dexter. Présente lors de sa venue à Paris en janvier dernier, à l’occasion de la première édition du festival Séries Mania organisé par le Forum des Images, je n’avais pas encore pris le temps de retranscrire cette rencontre. L’occasion (la diffusion de la cinquième saison de Dexter) faisant le larron, en voici aujourd’hui une synthèse.
Les origines
Ils ont tourné le pilote et ont réalisé qu’ils allaient avoir besoin d’un showrunner, qui est quelqu’un qui fait un peu tout : il fait tourner le programme, rassemble tout le monde, fait arriver le train à l’heure, engage les scénaristes, les réalisateurs, les producteurs… Il choisit tout. Il dirige aussi l’équipe d’écriture. Ils m’ont envoyé une vidéo – j’habite dans le Connecticut -, j’ai regardé le DVD et je me suis demandé pendant une journée si c’était là que je voulais aller, émotionnellement parlant, si c’était un projet dans lequel je voulais m’engager. Un ami scénariste, qui vit aussi dans le Connecticut, est venu me voir et j’ai revu le pilote avec lui. Il m’a dit en gros : « Putain, tu dois le faire ! »
Le travail du showrunner
Mais l’autre partie de ma journée est réservée à ce qui se passe quand je sors de mon bureau, quand il y a une queue de personnes qui attendent pour me poser une question : quelqu’un me tend son ordinateur portable en me demandant ce que je pense de tel ou tel effet spécial, une autre personne me met un écouteur dans l’oreille pour avoir mon avis sur un morceau de musique, un autre encore me montre une série de photographie de camions en me demandant lequel je choisirais, etc… Ça continue comme ça tout le long de ma route jusqu’aux séances de casting, où l’on reste pendant des heures et des heures, et dont on ne sort que pour recevoir un coup de fil ou répondre à une question urgente d’un membre de l’équipe qui va tourner dans la journée. Mais la partie la plus importante de mon boulot, à mes yeux, c’est que les centaines de personnes qui travaillent pour moi s’amusent, prennent du plaisir et soient contents de venir bosser le matin. C’est ce à quoi je consacre le plus d’énergie, parce que si je réussis ça, alors la série sera réussie. D’autres showrunners vous diront que la partie la plus difficile est de traiter avec les chaînes, ce qui n’a pas été le cas avec Showtime, qui a été magnifique.
Ecrire la série en revanche, est extrêmement difficile : trouver une seule voix parmi la cacophonie des voix, obtenir un consensus autour de cette voix, est tout aussi dur que nécessaire. Il y a en permanence huit scénaristes, dont moi. En règle générale, on change un scénariste par an, parce qu’il y a toujours une personne qui ne fonctionne pas sur la durée. La partie la plus difficile de mon travail est de dire à quelqu’un qu’il ne peut pas revenir travailler sur la série. C’est très dur, mais je m’en occupe toujours personnellement. C’est un métier difficile à apprendre, scénariste. Au final, vous faites forcément des erreurs, mais jamais deux fois les mêmes, et vous finissez par apprendre. D’une manière générale, si on doit choisir entre le réalisme et l’effet dramatique, on choisit toujours ce qui va fonctionner, on privilégie l’aspect dramatique ; on ne fait pas un documentaire. Quand on réalise la série, le principe est de toujours tout faire pour que le résultat soit mieux que sur le papier. Si quelqu’un dit : « Si on fait ça, on est foutu » : très bien, alors faisons-le… C’est comme ça qu’on travaille au niveau du scénario, parce que si on ne le fait pas, on n’est plus qu’une série comme une autre. »
Le personnage de Dexter
Dexter est à la fois un anti-héros, un héros et un super-héros ; il est comme Batman : sa personnalité a été forgée par la mort de ses parents, la paternité est une question très importante pour lui, il sort pour combattre le crime… Mais à la différence de Batman et, je l’espère, des personnes ici présentes, il piège les gens pour les jeter ensuite au fond de l’océan, ce qui n’est pas vraiment héroïque et même franchement répréhensible. Ce qui le rend également attachant pour le public est le fait qu’il veuille être normal. Il veut faire partie de la vie qu’il observe autour de lui, et dans les flashbacks de la première saison on voit qu’il essaie de s’attacher à d’autres personnages. Il travaille dans un lieu public, ce n’est pas un serial killer enfermé dans une bibliothèque jour et nuit.
Une des choses que l’on a dû décider au moment de l’écriture, c’est que Dexter ne peut pas devenir totalement humain. Parce que s’il devenait totalement humain, la douleur provoquée par ses actes deviendrait insoutenable pour lui, ça le submergerait et il s’écroulerait ou imploserait. Les vrais serial killers ne sont pas totalement humains, ce sont des psychopathes et des sociopathes. Il est évident que Dexter est un sociopathe : il tue des gens. On ne peut pas le nier. Mais comme il devient de plus en plus humain, la ligne sur laquelle il évolue devient de plus en plus complexe et difficile. »
Michael C. Hall
Mais il est surtout très intelligent et je pense que c’est ça le plus important. Quand vous regardez cet acteur, à la différence d’autres acteurs, vous savez qu’il comprend ce qu’il dit, vous sentez qu’il est investi dans ce qu’il fait. Nous en plaisantons tout le temps, mais nous faisons presque la même taille, et nous recevons ces guest-stars comme Jimmy Smits [dans le rôle de Miguel Prado] qui mesure 1,92 m ou John Lithgow [alias Arthur Mitchell, le redoutable Trinity Killer], qui mesure 1,94 m. Nous avons eu des plans difficiles à faire, où Jimmy Smits ou John Lithgow devaient carrément se pencher sur le rebord d’une chaise pour pouvoir donner la réplique à Michael C. Hall, mais il a commencé à utiliser ça à son avantage ; c’est un acteur si intelligent qu’il parvenait à renverser la situation pour les acculer. Quelle que soit la scène, Michael aura toujours le dessus sur son interlocuteur. »
Les choix esthétiques
Depuis son bureau, Dexter peut voir tout le monde, il voit tout et à tout moment, ce qui signifie également que tout le monde peut voir Dexter à n’importe quel moment. C’est un peu comme être dans un bocal, pour un homme qui veut rester secret. Quand on filme un meurtre, la lumière change complètement, au lieu d’éclairer par dessus, on éclaire par dessous : la lumière brille sur Dexter et on baisse la caméra. C’est la prise de vue classique du héros, la « prise de vue John Huston » - mais je suis sûr qu’un réalisateur français l’a fait avant John Huston - ; rien que la sensation de moiteur dans la pièce est particulière, en général on n’asperge pas les acteurs d’eau, sauf lors des séquences de meurtre. La victime est éclairée du dessus, pour qu’elle paraisse vulnérable. Elle est cadrée en plongée et de loin, quelle que soit sa taille. Dexter est cadré en contre-plongée et de près, parce que c’est « son moment ». Il l’appelle lui-même « le monstre qui est en lui », il dit de lui-même qu’il est un monstre très propre sur lui, et à ce moment le monstre émerge et grossit de plus en plus. On a également mis en opposition l’appartement très épuré de Dexter et l’intérieur très coloré de Rita.
En ce qui concerne la musique, nous avons travaillé très dur dessus. Le générique d’ouverture a été écrit par Rolfe Kent, un compositeur anglais qui travaille aux Etats-Unis et qui a écrit la musique de Election, Matador, et de beaucoup d’autres films. Nous avons écrit tout le générique ; il y a un moment, vers la fin, où Dexter enfile un T-shirt, pendant lequel nous avons arrêté numériquement l’image, donc pendant un moment son T-Shirt blanc reste plaqué sur son visage : pendant un moment seulement, ça devient un masque mortuaire. Et juste après, c’est de nouveau Dexter Morgan. »
Le départ de Clyde Phillips et l’avenir de Dexter
J’ai toujours imaginé qu’à la fin de la série, Dexter se ferait prendre. Certains l’imaginent s’enfuir au loin sur fond de soleil couchant, quoiqu’il en soit, c’était nos discussions dans la salle d’écriture, et on pouvait en parler pendant des semaines. La Floride applique la peine de mort, et je vois – ce n’est que mon point de vue, ce que je vais dire va m’apporter plein de problèmes -, je vois Dexter sur la table d’injection. Et l’image n’est pas très éloignée de celle de ses victimes sur sa table d’exécution à lui. Peut-être que tout ce à quoi nous avons assisté pendant plusieurs années va lui revenir à l’esprit pendant qu’on l’exécute. Je pense que ce serait une image très puissante. Mais c’est ce que je dis moi, et que d’autres considéreront comme la chose la plus stupide jamais entendue, ou peut-être se diront-ils au contraire que c’est une idée géniale et qu’il faut l’essayer. Concernant la peine de mort, qui est très controversée aux Etats-Unis, nous avons reçu beaucoup de réactions à ce sujet. Mais la série ne parle pas de ça. Toutefois, la majorité des scénaristes de Dexter sont opposés à la peine de mort. Au Texas, une personne est exécutée toutes les deux semaines. Des jeunes de 14 ans se retrouvent condamnés à mort. Peut-on vraiment affirmer que c’est une bonne chose ?
J’espère que la série va durer de nombreuses années encore, mais si elle ne s’arrête pas à temps, il y a fatalement un moment où elle finira par devenir mauvaise. C’est pour ça qu’on ne doit pas aller au-delà de douze épisodes par an. »