Sensitive
A peine eus-je revêtu le costume de femme,
que ma sensibilité me causa des tourments affreux.
Je ne parle pas de l’amour, ma pudeur devait me défendre.
Je souffrais par bien d’autres motifs:
au théâtre, la musique me faisait tomber en pamoison;
les émotions du drame me jetaient en des évanouissements prolongés;
le moindre changement de température agissait sur mes nerfs.
Le cigare surtout rendait ma vie amère.
Que de fois n’ai je pas dû subir les insolentes bouffées d’un fat!
Au lieu de me plaindre, on se moquait de moi;
j’étais passée à l’état de femme nerveuse:
personne ne croyait à mes souffrances;
mes amis les plus intimes prétendaient que je me maniérais.
Un magnétiseur célèbre me proposa d’utiliser mon fluide
et de courir la province pour donner des représentations,
lire les yeux fermés, et deviner les maladies
à la seule inspection des cheveux du malade.
Humiliée par cette offre, lasse de voir le ridicule s’attacher à moi,
j’ai pris la résolution de redevenir fleur.
L’haleine douce de la brise, les caresses des papillons,
voilà les seules choses que je puisse supporter.
(J.J. Grandville)