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Mes aventures sur les routes du vin. Kermit Lynch

Publié le 10 octobre 2010 par Edgar @edgarpoe

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  Un excellent livre sur les vins français, par un importateur californien.

Paru en 1988 aux Etats-Unis, cet ouvrage narre les multiples dégustations nécessaires à l'auteur pour faire ses achats : plusieurs mois par an, pendant des années, Lynch s'est balladé de cave en cave pour choisir ses vins. Il est passionnant de le suivre de Chablis à Chinon en passant par Bordeaux.


A chaque étape, il expose ses vues sur le filtrage (horreur), la récolte du raisin par machines (redoutable), la fermentation en cuves inox (à éviter) ou en cuves trop boisées (guère mieux).


  Le livre est parsemé d'anecdotes où l'on découvre au passage monde du vin, avec ses grandeurs et ses misères. Il raconte par exemple comment, un producteur ayant bradé son vin, dont il trouvait le goût abimé par l'emploi de fûts de chêne trop neufs, ledit vin, embouteillé par un négociant à la mode, reçut les honneurs dithyrambiques des journalistes...

Il pointe ailleurs une incohérence du système des appellations : tout est contrôlé jusqu'au moment de la récolte (cépage, rendement, taille des ceps etc.), mais vous pouvez faire ensuite à peu près n'importe quoi en cave - filtrage ou autres manipulations plus violentes.


  Bien avant Mondovino donc, il dénonce la marchandisation à outrance du vin. Il plaide pour une civilisation du non-reproductible, de la lenteur, de l'échange contre la notation - quelle bêtise que de noter, sur 20 ou sur 100, des vins dont certains seront délicieux sur une viande et imbuvables avec un poisson. Il recommande ainsi de ne pas juger trop vite un vin, de se faire à ses imperfections, de ne pas chercher tout de suite à y retrouver du connu ou de l'attendu (un goût de chêne, qui peut provenir de copeaux introduits dans n'importe quel vin).


  De la même façon, il refuse les dégustations à l'aveugle, qui donnent la prime aux vins explosifs, sans finesse mais capables d'impressionner immédiatement un goûteur qui doit aller au plus vite.


  Sans jamais dénoncer personne, il raconte les camions immatriculés de la Gironde, qui viennent faire le plein de mauvais vin de coopératives du Languedoc et repartent remplir probablement des bouteilles de bordeaux qui seront vendues sans être même goutées, au prix que leur vaut leur appellation.

Lynch a visiblement une préférence sinon pour les bourgognes, du moins pour les producteurs bourguignons - de façon générale, pour les petits producteurs plutôt que pour les grands domaines.


  Il explique aussi comment l'INAO, en élargissant trop les surfaces rattachées a des terroirs prestigieux, peut décourager l'exploitation des meilleures vignes : en incluant des terres de plaine dans l'appellation "Saint Joseph", l'INAO a conduit les viticulteurs à délaisser les meilleures vignes (les plus difficiles à cultiver, sur des terrains pentus), au profit des nouvelles surfaces, plus faciles.


"Une façon d'encourager la replantation de ces sites historiques serait de permettre à certains vins de mentionner davantage de renseignements précis sur leurs étiquettes. En tant que consommateur, vous devriez avoir le droit de savoir si votre Saint-Joseph vient réellement de l'antiquité ou s'il provient d'alluvions modernes.L'INAO devrait permettre aux producteurs d'apporter ce genre de précisions - par exemple Saint Joseph, vin de Tournon ou vin de Mauves, ou bien Crozes-Hermitage, vin de Gervans ou vin de Mercurol. A mesure que, le temps passant, le consommateur commencerait à distinguer et à juger les différentes qualités, le prix des vins issus des meilleurs sites s'élèverait (exactement comme, en Bourgogne, un Pommard "Rugiens" est plus cher qu'un simple Pommard), et cela transformerait en entreprise rentable l'énorme tâche consistant à replanter les coteaux."


Au passage, on comprend la difficulté extrême du métier de viticulteur : un coup de grêle et c'est une année de récolte qui disparaît. Et l'on se dit aussi que le rôle d'un bon négociant est irremplaçable : quelqu'un qui a goûté les vins qu'il vend, qui se porte garant de leur qualité, qui se soucie de leur provenance etc. De quoi aussi décourager d'acheter des vins en grande surface...

Pour conclure, deux extraits de ce très recommandable ouvrage (dont la traduction est excellente) :


"Autrefois, mais il n'y a pas encore si longtemps, les négociants goûtaient le vin mis en vente à la propriété. S'il était bon, ils le prenaient ; sinon ils le laissaient. Maintenant il y a une analyse qui dit : tant et tant d'acidité fixe et volatile, la malolactique est terminée ou non. C'est comme ça qu'ils achètent désormais. Ce n'est plus basé sur le goût et c'est bien triste. Nous avons trop tendance à nous fier à la science, là où auparavant on accordait de l'importance aux choses naturelles. Ce qui est sûr, c'est que les anciens n'étaient pas stupides, et s'ils ont établi une tradition, elle était fondée sur leur expérience. Ils essayaient d'éliminer les facteurs défavorables et d'essayer de garder ce qui marchait le mieux."


[...]


  "J'aimerais que le vin constitue une forme d'expression protégée par la Constitution, afin de le préserver des groupes de pression, des hommes politiques, des moralisateurs hystériques, des ennemis de la joie. Nous risquons de détruire une chose extrêmement complexe et délicate. Plus il y aura de réglementations en tout genre et moins il y aura de chances d'importer deux ou trois barriques de vin naturel produit de la façon la plus artisanale. La situation profitera aux compagnies industrielles, avec leurs milliers de caisses de vins stéréotypés et leur bureaucratie informatisée qui leur permettra d'affronter les exigences modernes, dévoreuses de temps et d'argent. Dans le monde du vin, la bureaucratie n'engendre que des vins standardisés."


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