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Scène I. Acte III. Mélisande, Pelléas   Une des tours du...

Publié le 10 octobre 2010 par Mmepastel
Scène I. Acte III. Mélisande, Pelléas
 
Une des tours du...

Scène I. Acte III. Mélisande, Pelléas

Une des tours du château

(Un chemin de ronde passe sous une fenêtre de la tour.)

MÉLISANDE

(à la fenêtre tandis qu’elle peigne ses cheveux dénoués)

Mes longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour;
Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour,
Et tout le long du jour,
Et tout le long du jour.
Saint Daniel et Saint Michel,
Saint Michel et Saint Raphaël,
Je suis née un dimanche,
Un dimanche à midi…

(Entre Pelléas par le chemin de ronde.)

PELLÉAS

Holà! Holà! ho!

MÉLISANDE

Qui est là?

PELLÉAS

Moi, moi, et moi! 
Que fais-tu là, à la fenêtre, en chantant comme un oiseau qui n’est pas d’ici?

MÉLISANDE

J’arrange mes cheveux pour la nuit…

PELLÉAS

C’est là ce que je vois sur le mur? 
Je croyais que tu avais de la lumière…

MÉLISANDE

J’ai ouvert la fenêtre; il fait trop chaud dans la tour… 
Il fait beau cette nuit.

PELLÉAS

Il y a d’innombrables étoiles; je n’en ai jamais vu autant que ce soir; mais la lune est encor sur la mer… 
Ne reste pas dans l’ombre, Mélisande, penche-toi un peu, que je voie tes cheveux dénoués.

MÉLISANDE

Je suis affreuse ainsi…

PELLÉAS

Oh! oh! Mélisande, 
Oh! tu es belle! Tu es belle ainsi! Penche-toi! Penche-toi! Laisse-moi venir plus près de toi…

MÉLISANDE

Je ne puis pas venir plus près de toi… 
Je me penche tant que je peux…

PELLÉAS

Je ne puis pas monter plus haut…donne-moi du moins ta main ce soir avant que je m’en aille… 
Je pars demain.

MÉLISANDE

Non, non, non…

PELLÉAS

Si, si, je pars, je partirai demain…donne-moi ta main, ta main, ta petite main sur les lèvres…

MÉLISANDE

Je ne te donne pas ma main si tu pars…

PELLÉAS

Donne, donne, donne…

MÉLISANDE

Tu ne partiras pas?

PELLÉAS

J’attendrai, j’attendrai…

MÉLISANDE

Je vois une rose dans les ténèbres…

PELLÉAS

Où donc? 
Je ne vois que les branches du saule qui dépasse le mur…

MÉLISANDE

Plus bas, plus bas, dans le jardin; là-bas, dans le vert sombre…

PELLÉAS

Ce n’est pas une rose… 
J’irai voir tout à l’heure, mais donne-moi ta main d’abord; d’abord ta main…

MÉLISANDE

Voilà, voilà, je ne puis pencher davantage.

PELLÉAS

Mes lèvres ne peuvent pas atteindra ta main!

MÉLISANDE

Je ne puis me pencher davantage… 
Je suis sur le point de tomber…
Oh! Oh! mes cheveux descendent de la tour!

(Sa chevelure se révulse tout à coup tandis qu’elle se pence ainsi, et inonde Pelléas.)

PELLÉAS

Oh! oh! qu’est-ce que c’est? tes cheveux, tes cheveux descendent vers moi! 
Toute ta chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est tombée de la tour!

(moins vite et passionnément contenu)

Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche… 
Je les tiens dans le bras, je les mets autour de mon cou… 
Je n’ouvrirai plus les mains cette nuit!

MÉLISANDE

Laisse-moi! laisse-moi! tu vas me faire tomber!

PELLÉAS

Non, non, non! 
Je n’ai jamais vu de cheveux comme les tiens, Mélisande! 
Vois, vois, vois, ils viennent de si haut et ils m’inondent encore jusqu’au cœur;
Ils m’inondent encore jusqu’au genoux!
Et ils sont doux, ils sont doux comme s’ils tombaient du ciel! 
Je ne vois plus le ciel à travers tes cheveux.
Tu vois, tu vois? Mes deux mains ne peuvent pas les tenir; il y en a jusque sur les branches dy saule…
Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains, et ils m’aiment, ils m’aiment plus que toi!

MÉLISANDE

Laisse-moi, laisse-moi… 
Quelqu’un pourrait venir…

PELLÉAS

Non, non, non, je ne te délivre pas cette nuit… 
Tu es ma prisonnière cette nuit, toute la nuit, toute la nuit…

MÉLISANDE

Pelléas! Pelléas!

PELLÉAS

Je les noue, je les noue aux branches du saule… 
Tu ne t’eniras plus…tu ne t’en iras plus…
regarde, regarde, j’embrasse tes cheveux…
Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux…
Tu entends mes baisers le long de tes cheveux?
Ils montent le long de tes cheveux…
Il faut que chacun t’en apporte…
Tu vois tu vois, je puis ouvrir les mains…
J’ai les mains libres et tu ne peux plus m’abandonner…

(Des colombes sortent de la tour et volent autour d’eux dans la nuit.)

MÉLISANDE

Oh! oh! tu m’as fait mal! 
Qu’y a-t-il Pelléas?
Qu’est-ce qui vole autour de moi?

PELLÉAS

Ce sont les colombes qui sortent de la tour… 
Je les ai effrayées; elles s’envolent…

MÉLISANDE

Ce sont mes colombes, Pelléas. 
Allons-nous-en, laisse-moi elles ne reviendraient plus…

PELLÉAS

Pourquoi ne reviendraient-elles plus?

MÉLISANDE

Elles se perdront dans l’obscurité… 
Laisse-moi! laisse-moi relever la tête…
J’entends un bruit de pas…
Laisse-moi!
C’est Golaud! Je crois que c’est Golaud!
Il nous a entendus…

PELLÉAS

Attends! Attends! 
Tes cheveux son autour des branches…
Ils se sont accrochés dans l’obscurité…
Attends! Attends

(Entre Golaud par le chemin de ronde.)

Il fait noir.

GOLAUD

Que faites-vous ici?

MÉLISANDE

Ce que je fais ici? 
Je…Vous êtes des enfants…
Mélisande, ne te penche pas ainsi à la fenêtre, tu vas tomber…
Vous ne savez pas qu’il est tard?
Il est près de minuit.
Ne jouez pas ainsi dans l’obscurité.
Vous êtes des enfants…

(riant nerveusement)

Quels enfants!
Quels enfants!

(Il sort avec Pelléas.)

Extrait de Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy.

Photographie : Mary Garden dans le rôle de Mélisande.


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