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Fable altermondialiste / par Eric Grémont

Publié le 10 octobre 2010 par Alains

Imaginons quelques instants que, par la magie d’une grande vague démocratique, les peuples de la terre se dotent d’un dirigeant humaniste élu sur un programme simple : repousser la misère, promouvoir la croissance la plus rapide possible des zones sous-développées. En un mot prendre à bras le corps les terribles injustices de conditions qui frappent ceux qui naissent au mauvais endroit au mauvais moment. Il n’est pas interdit de supputer que le néo-libéralisme banqueroutier faillira une fois de plus. La population se tournera fort logiquement vers la forme de socialisme qui donne aujourd’hui satisfaction aux Chinois et qui a laissé de bons souvenirs en Occident : le capitalisme d’Etat.

Enfant roi
 
Le lendemain de son élection je vois déjà notre Léviathan se pencher sur les montagnes de statistiques que produit l’économétrie contemporaine. Que va-t-il voir : qu’un petit dixième de l’humanité consomme 60% des ressources économiques. Qu’à la modestie relative des moyens de lutter contre la misère s’ajoute leur mauvaise orientation pour des consommations aussi frivoles que les voitures familiales et l’iPhone4. Notre bienfaiteur devra peser en son âme et conscience ce qui est le plus important. Il n’aura pas le choix, il lui faudra équiper les parties du monde qui en sont dépourvues d’une industrie lourde puissante. Combien coûte une aciérie flambant neuve ? Pas loin de 6 millions d’euros. Or pour garantir au niveau mondial une consommation d’acier comparable par tête à celle de la France, il faut 600 millions d’euros.

Les sommes en jeu sont vertigineuses : un investissement initial de 70 000 euros par habitants des pays pauvres, à peine de quoi payer l’accès aux commodités les plus courantes comme l’école la santé, le transport, l’alimentation… Où trouver ces sommes ailleurs qu’en Occident ? Peut-on humainement demander à l’Africain de se serrer une ceinture qu’il n’a même pas les moyens de s’offrir ? C’est en Occident que notre homme trouvera de quoi initier une vague sans précédent d’accumulation primitive du capital. La bonne : celle qui sortira pour de bon l’humanité de l’ombre. Le premier résultat des cogitations du héros altermondialiste sera de mettre l’Occident en coupe réglée, prélevant sur son produit net une part susceptible de financer le reste.

Vous me direz alors tant mieux : qu’il confisque la grande propriété des banquiers et autres profiteurs. Malheureusement, si la part de richesse détenue par ces minorités est scandaleuse, leur consommation effective en bien de consommation pour être parfois extravagante n’en est pas moins faible. La disparition des magnats n’a pas rendu les Russes moins pauvres. Un rapide calcul permet de se rendre compte qu’en France le surpaiement des salariés du secteur bancaire doit avoisiner 1% du PIB : c’est un montant énorme pour si peu de gens, mais faible si l’on veut financer la croissance de l’Afrique de l’Inde et du Moyen-Orient. Il est de bien peu d’importance qu’un homme seul soit propriétaire d’une société qui vaut des milliards. Ce qui serait conséquent c’est qu’à lui tout seul il consomme plusieurs milliards. Mais le cas ne se présente jamais. La part de leurs revenus la plus importante retourne immédiatement au capital, lequel capital contribue à produire les biens et les services que nous convoitons. C’est ce qui rend la confiscation décevante sur le plan économique : d’un côté on ramasse des châteaux encombrants et de l’autre on récupère des biens de production déjà actifs. La somme prélevée n’enrichit pas la société, elle passe d’une ligne de comptabilité à une autre. Il faudra d’autres moyens comme une TVA à 50%.

Pourquoi la TVA ? Elle est injuste me direz-vous. C’est très simple : dès lors que la consommation des classes dominantes a été assagie en lui substituant une classe administrative supposée moins coûteuse (au moins les premières années) on se rend compte que le fait majeur de l’Occident est la consommation massive. Ce n’est pas LVMH qui compte lorsque l’on a besoin d’argent, c’est Carrefour. Transférer la consommation vers le capital sera donc premier. Nombreux sont ceux qui viendront lui dire que s’il est difficile de vivre avec 1000 euros nets, une TVA d’un tel montant réduit le pouvoir d’achat réel d’encore 200 à 300 euros : qui peut vivre de cette façon ? Notre homme répondra avec justesse que les ouvriers Chinois vivent bien de cette façon et depuis longtemps. A ce moment-là nos altermondialistes seront déjà fort déconfis : finis les iPhone et autres voyages à Porto Alegre. Il leur restera la satisfaction de constater que d’autres ont perdu d’avantage.

Instituteurs dans le monde
Tous ceux-là, déjà privés de choix dans une consommation réduite à l’essentiel, pesteront contre une direction sourde à leur requête de retraite à 60 ans sous le prétexte fallacieux que le problème ne se pose pas en moyenne en Inde et en Afrique. Mais le pire viendra. En effet la masse absolument astronomique des investissements éducatifs et industriels exigera un grand nombre d’enseignants, d’ingénieurs, de personnels qualifiés et de cadres, que le pouvoir n’aura pas le temps de former. Il faudra les prendre là où ils sont. Cela justifie bien de réduire le nombre d’enseignants en France dans des classes où il n’y a que 22 élèves. La sous-administration dramatique de certaines régions justifiera aussi d’y délocaliser le personnel approprié et la France, vieille terre administrative, sera un vivier de choix. Bien sûr quelques résistances se feront jour, je n’ai pas envie d’aller travailler loin de ma famille, de mes amis, dans un monde où le gros du trafic est réservé au fret où les trajets de retour sont rares. A ceux-là, la raison sera vite insuffisante, il faudra opposer la force légitime que peuvent invoquer les masses écrasées encore à ce moment-là par une misère sans nom. De quel poids pourront peser ces atermoiements égoïstes, petit-bourgeois ?

Le capital humain libéré des activités futiles devra être réquisitionné pour remplacer le matériel déplacé ailleurs. Pour quelles raisons un Etat mondial laisserait-il une partie de la population inoccupée alors qu’au Bangladesh on a mobilisé des millions de bras pour construire des digues qui offrent seulement la survie ? Une telle injustice, on peut le parier, ne durera pas très longtemps. Les représentants du tiers monde en une majorité écrasante voterons pour rendre le travail - le vrai, celui qui fait mal - obligatoire. Pour toutes ces tâches consommatrices de capital humain il faudra des bras nombreux. Comment les refuser et ne pas participer au ramassage des ordures aux travaux communs d’entretiens des routes ? Les bonnes volontés venant rapidement à manquer, il faudra que le pouvoir rende le travail obligé et suspende les systèmes d’indemnisation chômage, car il y a toujours une tâche utile pour qui que ce soit. 

Il va sans dire que notre bienfaiteur du genre humain sera confronté à de nombreuses difficultés inhérentes à la planification d’une œuvre aussi grandiose et nécessaire. Il y aura des bonds en avant et des échecs, des émotions populaires ici et là. Dûment appuyé sur une force publique appropriée, recrutée dans les zones les plus arriérées, nul doute que l’ordre prévaudra. Il n’y aura guère d’autre choix que de poursuivre. Il faudra bien alors repousser les élections, lesquelles ne pourraient que manifester la stupéfaction de l’Occident et l’impatience légitime du tiers monde. L’autorité seule permettra à une telle entreprise de se déployer. La mutualisation de la recherche, la concentration du capital industriel en gigantesques conglomérats, permettra de franchir le mur invisible des rendements décroissants pour un temps au moins. Elles justifieront  à elles seules la poursuite d’un processus millénaire de concentration et de mutualisation que le socialisme peut fort bien interpréter à sa façon avec succès.

Contrairement à d’autres, je ne pense pas qu’une telle entreprise soit vouée à l’échec ni même qu’elle ne soit pas souhaitable, surtout dans ses étapes initiales où la captation du capital et de la consommation peuvent être mis en œuvre assez facilement par une sorte de communisme de guerre orienté contre la misère et la faim. Je pense qu’a posteriori nombreux seront les commentateurs qui pointeront les réussites de cette politique qui, en 25 ans, aura quintuplé la production de routes et d’écoles, supprimé la gêne alimentaire la plus voyante, augmenté l’espérance de vie de dix ans en moyenne, ouvrant enfin la porte à un monde uni et fraternel. Qui versera une larme sur l’Occident, victime expiatoire temporaire et surtout nécessaire ? Après tout nécessité fait loi et l’urgence étant pressante, la seule solution logique était de lui rationner immédiatement ses joujoux coûteux, de lui compter ses avantages indus, non pas en principe, mais du fait de la situation dramatique qui a cours aujourd’hui. J’imagine que ceux qui parleront en notre nom seront reçus comme les défenseurs des aristocrates français en leur temps, avec dédain et mépris.

La question à se poser c’est plutôt de savoir si ce n’est pas précisément ce que le néo-libéralisme permet avec ses outils imparfaits : les salaires de base n’ont jamais augmenté autant à travers le monde que ces dix dernières années en proportion et en pourcentage. Mais ça, chut ! - les altermondialistes ne vous le disent pas.

Eric Grémont est directeur de l'OPESC  et coauteur du livre 'Les grands patrons en France', 2010


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